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Les minéraux argileux, sources d’innovation depuis des millénaires

Par Sarah Journée

Publié le 2 novembre 2020 Les minéraux argileux, sources d’innovation depuis des millénaires Liva Dzene, Université de Haute-Alsace (UHA) et Jocelyne Brendlé, Université de Haute-Alsace (UHA) Les minéraux argileux sont l’une des premières ressources naturelles utilisées par l’espèce humaine. Ils ont accompagné le développement de nombreux domaines : habitat, outillage, art, communication, santé, hygiène, matériaux. Un mélange d’argile, de sables et de paille hachée, nommé (adobe) fait ainsi partie des premiers matériaux de construction et est toujours utilisé dans le monde entier. Les argiles ont aussi largement contribué à l’essor de la communication. Les Sumériens, Babyloniens, Assyriens et Hittites ont dès 4000 ans av. J.-C. gravé leurs sceaux dans des tablettes d’argiles à l’aide d’un roseau taillé en pointe et ont aussi constitué le premier support de l’écriture cunéiforme, support recyclable. Séchées à l’air ou au soleil, ces tablettes non cuites restaient fragiles ; un simple trempage dans l’eau permettait de les réutiliser. En revanche, après cuisson dans un four, elles pouvaient être conservées, donnant ainsi naissance aux premières bibliothèques. Leurs propriétés absorbantes en font également des matériaux de choix dans le domaine de la santé, sous forme de cataplasmes, dans des pansements à usage externe, ou encore en tant que pansement gastrique. Les argiles rentrent également dans la composition de nombreux produits cosmétiques (savons, masques, maquillage) ou sont appliquées directement comme dans le cas du ghassoul. Le ghassoul, absorbe les corps gras ; les autres argiles peuvent contribuer à l’hydratation de la peau, sa purification, sa reminéralisation. L’action de l’argile peut aussi être antiseptique et cicatrisante. La structure des minéraux argileux Les minéraux argileux sont présents depuis des millénaires dans l’histoire humaine, mais leur structure n’a été ou comprise que dans les années 1920 après l’invention des techniques de diffraction des rayons X. La notion d’« argiles » est utilisée pour nommer toutes les particules minérales qui font moins de deux micromètres. Cette taille est de l’ordre de la résolution du microscope optique. Les cristaux de minéraux argileux sont donc très petits, et pour examiner en détail leur structure, il a fallu attendre le développement d’équipements ayant une résolution plus importante. Il se trouve que la longueur des rayons X est de la même échelle que les distances entre les atomes dans les cristaux. Suite à la découverte du phénomène de la diffraction des rayons X et de la relation entre la longueur d’onde des rayons X et la distance entre les atomes, il est donc devenu possible d’étudier la structure cristalline, y compris celle des minéraux argileux. En 1927, le scientifique français Charles Maugin détermina avec une précision exacte la taille de mailles cristallines des micas et leur composition chimique. Puis en 1930 le célèbre chimiste Linus Pauling fut le premier à résoudre les structures des minéraux argileux : talc, pyrophyllite, muscovite et chlorite. Ainsi, nous connaissons aujourd’hui la structure exacte de ces cristaux minuscules. Leur structure est composée des couches siliciques et magnésiennes ou alumineuses qui forment des feuillets qui à leur tour sont empilés pour former des cristaux lamellaires. Les principaux éléments qui entrent dans la structure des minéraux argileux sont le Si, Al, Mg, O et H, mais de nombreux autres éléments peuvent s’y trouver tels que Fe, Ni et Zn. La grande variété des minéraux argileux provient de la possibilité de combiner ces éléments de plusieurs façons bien définies via notamment des substitutions d’un élément par un autre au sein d’un feuillet. Ceci en revanche va conférer des propriétés particulières et bien différentes en fonction de la quantité et la position des substitutions dans la structure des minéraux argileux. Différents autres éléments tels que le sodium, le potassium ou encore le calcium peuvent également se trouver entre les feuillets.   Mimer la nature : synthèse des minéraux argileux dans le laboratoire Présentes sur la quasi-totalité de la surface de la Terre, les argiles ont des compositions et propriétés dépendantes des conditions géologiques dans lesquelles elles se sont formées. Pour une même argile, des caractéristiques très diverses à la fois en matière de compositions chimiques, coloration, cristallinité, nature des phases associées peuvent être observées en fonction de la nature du gisement. Ces hétérogénéités peuvent être un frein pour certaines applications industrielles dans lesquelles il est nécessaire d’utiliser des composés purs. Des recherches ont ainsi été initiées afin de synthétiser ces matériaux, qui dans les conditions géologiques, mettent plusieurs millions d’années à se former. L’histoire de la synthèse de talc illustre à la fois la manière dont les chercheurs ont réussi à préparer un talc pur et l’évolution des méthodes de préparation via des méthodes de plus en plus douces. Alors que les premiers essais de synthèse ont été faits à des températures voisines de 1000 °C et des pressions allant jusqu’à 2800 bars et pour des durées de cristallisation de quelques jours, il est aujourd’hui possible d’obtenir des talcs en quelques dizaines de secondes par un procédé continu en eau supercritique – les propriétés de l’eau en état supercritique (au-delà de 374 °C et 218 bar) sont intermédiaires entre celles de l’état gazeux et liquide. Hormis le talc, d’autres minéraux argileux ont à présent des analogues synthétiques. Les méthodes de préparation permettent outre la maîtrise de la composition chimique, la modulation de la longueur des feuillets, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles applications. Parmi les dernières voies de synthèse mises au point, figure également la voie sol-gel permettant de former, à température et pression ambiante et en une seule étape, des composés de type talc comportant des groupements fonctionnels, évitant ainsi les traitements post-synthèse nécessaires pour conférer certaines propriétés aux matériaux.   Les minéraux argileux, matériaux durables pour le futur Les argiles employées depuis des millénaires sont des matériaux versatiles. Les développements actuels dans le domaine de l’environnement (piégeage de polluants organiques et minéraux, catalyse…) de matériaux multifonctionnels tels les composites polymères argiles permettant par exemple de conférer des propriétés anti-feu. Les systèmes de relargage contrôlé de molécules d’intérêt sous l’action d’une modification de pH, de la lumière ou d’un champ magnétique ouvrent la voie à de nouvelles applications dans le futur et ce notamment dans les applications biomédicales. Elles connaissent…

Veolia-Suez : la réussite de l’acquisition dépendra aussi des mécanismes de contrôle mis en place

Par Sarah Journée

Publié le 12 octobre 2020 Veolia-Suez : la réussite de l’acquisition dépendra aussi des mécanismes de contrôle mis en place Marc Bollecker, Université de Haute-Alsace (UHA) et Marion Hertzog, Université de Haute-Alsace (UHA)   L’actualité des opérations de fusions-acquisitions en France est particulièrement marquée par l’offensive de Veolia, acteur majeur de la gestion de l’eau et des déchets, sur son concurrent Suez. En effet, le lundi 5 octobre 2020, le groupe Engie a décidé de céder à Veolia près de 30 % des parts qu’il détient de son concurrent dans un contexte particulièrement polémique, dans lequel la présidence de la République est même accusée d’être intervenue dans le vote (ce que l’Élysée dément). Le 9 octobre, le tribunal judiciaire de Paris a d’ailleurs décidé de suspendre l’opération « tant que les comités sociaux et économiques concernés n’auront pas été informés et consultés quant aux décisions déjà prises ». Les deux entreprises ont annoncé qu’elles feraient appel de cette décision. Au-delà de ce cas, ce type d’opérations fait régulièrement l’objet d’une forte médiatisation : General Electric – Alstom, Fiat Chrysler – PSA, Vivendi – Havas, Siemens – Alstom, etc. Régulièrement, elles conduisent même à l’intervention des plus hautes autorités de l’État, comme l’a encore montré le dossier Veolia-Suez. Cette médiatisation s’explique par les craintes que suscitent les fusions-acquisitions, qui sont loin d’être spécifiques au secteur de l’eau et de la valorisation des déchets.   Peur de l’échec Les craintes se cristallisent le plus souvent autour des difficultés d’une situation post-fusion ingérable, de pertes d’emplois, de position monopolistique, d’offre publique d’achat (OPA) future (ici sur Suez), et des incertitudes sur la rentabilité des sommes décaissées (estimées à près de 3,4 milliards d’euros dans le cas de Veolia). Ces craintes s’expliquent également par les risques d’échecs des opérations de fusion-acquisition qui demeurent élevés. Les différentes études menées sur ces opérations s’accordent sur un taux d’échec approchant les 70 %. Relevons cependant que ce qui est entendu par la performance de ces opérations varie considérablement selon les interlocuteurs. Par exemple, en finance, elle peut se mesurer par la création de valeur pour les actionnaires (rentabilité, croissance du chiffre d’affaires, économie d’échelles) ou par l’abandon des opérations. En gestion des ressources humaines, ce peut être l’impact sur les licenciements ou sur le climat social ; en stratégie, la réalisation des objectifs stratégiques tels que le développement régional. Si des intérêts stratégiques conduisent les groupes à maintenir de telles opérations, malgré des résultats financiers souvent décevants, il est particulièrement utile de s’intéresser aux facteurs postérieurs aux opérations de fusion-acquisition, explicatifs de leurs échecs ou de leurs succès.   Choisir son dispositif d’intégration De nombreux travaux de recherche ont été menés sur la question. Sans être exhaustif, certains montrent le rôle des dirigeants et du leadership, d’autres se focalisent sur la gestion des différences culturelles, les relations humaines et l’identité, d’autres encore sur la gestion de l’incertitude et de l’ambiguïté, ou la vitesse d’intégration. Quel que soit l’angle d’analyse adopté, ces opérations nécessitent d’intégrer, dans une nouvelle entité, des structures et collaborateurs présentant des différences cognitive, sociale, géographique voire institutionnelle plus ou moins importantes. En réalité, il s’agit d’un problème classique et ancien dans toutes les organisations, d’intégration et de différenciation. Les dispositifs d’intégration (ou mécanismes de contrôle) se traduisent par des systèmes, des règles, des pratiques et des valeurs qui orientent les comportements des collaborateurs vers la réalisation des objectifs et de la stratégie de l’organisation. Les chercheurs en contrôle de gestion, Teemu Malmi et David Brown, ont montré la diversité de tels dispositifs d’intégration massivement utilisés par les firmes : plans d’action à court, moyen et long terme (planification), budgets, indicateurs financiers et non financiers, tableaux de bord (contrôle cybernétique), récompenses et bonus, délégations des responsabilités, procédures, gouvernance (contrôles administratifs), valeurs, croyances, normes sociales (contrôles culturels) etc. La grande majorité des fusions-acquisitions sont des échecs (Frédéric Fréry, Xerfi Canal, 2016).   Dans le cas d’une fusion-acquisition, ces dispositifs d’intégration peuvent s’avérer tout à fait utiles pour sensibiliser les employés aux finalités de l’opération, pour véhiculer les objectifs de la nouvelle entité, voire même pour les rassurer quant à leur avenir (à supposer que cela soit envisageable !). Dans ce type d’opération, le groupe acquéreur est alors amené à réaliser un choix complexe sur le degré et les mécanismes de contrôle (intégration) des différentes entités et sur leur autonomie (différenciation) respective. Ce choix peut prendre trois formes différentes si l’on se réfère à l’une des nombreuses typologies réalisées sur le sujet : la préservation, l’absorption, la symbiose. La première forme se traduit par la conservation de l’identité et de l’autonomie de chaque entité, la coordination se limitant à un contrôle financier (par exemple LVMH et Liberty Surf). Elle se retrouve souvent dans des stratégies de diversification menées par le groupe acquéreur. La deuxième se caractérise par une faible autonomie de l’entité acquise et une très forte coordination par l’acquéreur. Elle passe le plus souvent par la recombinaison des ressources et de l’identité de la structure acquise (par exemple Axa et UAP). La dernière forme d’intégration implique le maintien de l’autonomie tout en développant des relations de coordination approfondies sur le plan opérationnel par des mutualisations des processus (par exemple Air France et KLM).   Intégrer de manière optimale Dès lors, parmi les différents facteurs de réussite d’une opération de fusion-acquisition, on peut relever l’importance d’une recherche de cohérence entre les dispositifs d’intégration (ou mécanismes de contrôle organisationnel) existants ou à développer dans chacune des entités et la forme d’intégration choisie. On peut ainsi aisément comprendre que, dans le cas d’une intégration qui vise la préservation des spécificités de l’entité acquise, l’utilisation massive par l’acquéreur d’une variété de dispositifs d’intégration (contrôle culturel, contrôle administratif, contrôle cybernétique, planification…) s’avère peu pertinente. Elle conduit à une mise sous contrôle excessive ou inadaptée des employés. Elle expose l’acquéreur au rejet des dispositifs d’intégration. Nombreux sont les travaux ayant démontré des risques de controverses, de non-appropriation voire de rejet, même au-delà des opérations de fusion-acquisition. Inversement, la seule utilisation d’outils de contrôle cybernétique dans une forme fusionnelle ne serait pas suffisante pour assurer…

BD « Sciences en bulles » : La poudre de Magnésium, un carburant propre et renouvelable pour nos voitures ?

Par Sarah Journée

Publié le 6 octobre 2020 BD « Sciences en bulles » : La poudre de Magnésium, un carburant propre et renouvelable pour nos voitures ? Driss Laraqui, Université de Haute-Alsace (UHA)   Cet extrait de la BD « Sciences en bulles » est publié dans le cadre de la Fête de la science dont The Conversation France est partenaire.   La lutte contre le dérèglement climatique pousse les constructeurs automobiles à chercher une énergie verte et renouvelable qui permette une mobilité abordable et respectueuse de l’environnement. Actuellement, les sources d’énergies renouvelables connues, telles que les panneaux solaires et les éoliennes, sont intermittentes et isolées dans certaines zones géographiques. Pour permettre leur utilisation généralisée, elles dépendent de batteries qui transportent une trop faible énergie par volume pour permettre une autonomie suffisante du véhicule (sans évoquer les contraintes de production et recyclage de ces dernières). Le même problème de densité énergétique est reproché à l’hydrogène. On utilise dans les moteurs thermiques actuels la combustion de diesel ou d’essence. On aurait donc « juste » à trouver un carburant qui permette d’allier performances (forte densité énergétique) et zéro émission de CO2 (carburant décarboné). Revenons donc au tableau périodique pour chercher un élément qui puisse réagir avec l’oxygène, qui ne soit pas rare (pas cher), qui ne soit pas lourd (noyau léger) et dont les oxydes ne soient pas toxiques. Il reste donc les métaux. Parmi eux, l’aluminium, le fer et le magnésium sont parmi les 8 éléments les plus présents de la croûte terrestre. Leur abondance est une force. De plus, la poudre métallique est facile et sûre à transporter et on peut récupérer les oxydes produits par la combustion pour régénérer le métal initial. C’est potentiellement un combustible renouvelable s’inscrivant dans une économie circulaire. La combustion de métaux est tellement énergétique qu’elle est déjà utilisée actuellement dans les fusées pour « booster » leur poussée (depuis les années 60). Néanmoins, il ne serait pas envisageable, même pour les fans de sensations fortes, d’utiliser ce type de propulsion pour une voiture. Mais utiliser de la poudre métallique dans les moteurs de voiture actuels non plus. Il faut faire une modification importante en réalisant la combustion à l’extérieur de la chambre à pistons pour éviter les abrasions et le bouchage du cylindre par les particules. C’est là où l’on est ravi de se rappeler que Robert Stirling a inventé un moteur (qui porte son nom) où la chambre de combustion est à l’extérieur et chauffe un gaz (inerte) dans la chambre à piston pour permettre la conversion de l’énergie thermique en énergie mécanique afin de faire tourner les roues. En tant qu’ingénieur/doctorant motoriste, mon travail consiste à développer cette chambre de combustion unique au monde. Son rôle est d’enfermer une flamme de magnésium et de faire en sorte qu’elle ne bouge pas pour récupérer son rayonnement et ses gaz chauds. Il faut aussi que les particules d’oxydes formées soient toutes récupérées par des systèmes de filtration. Cela permettra de recycler ces oxydes et produire la poudre métallique utilisée au départ (recyclage qui se fera sur une station fixe à l’aide d’énergies vertes). L’objectif final du projet étant d’enrichir la palette d’énergies vertes (biocarburants, hydrogène, métaux) qui permettra de s’adapter à plusieurs applications (puissance requise), utilisations (autonomie suivant le trajet) et localisations géographiques (proximité pour l’approvisionnement). Dans le cas précis des métaux, il faudra trouver une synergie avec les autres acteurs économiques importants tels que le transport maritime, la production d’électricité et la métallurgie.     Driss Laraqui, Docteur en Génie des procédés, Université de Haute-Alsace (UHA)   Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Driss Laraqui Docteur en génie des procédés (LGRE) Sur le même thème Tous |Article |Non classé |Podcast |Question |Recherche participative |Vidéo Ma Thèse en 180 secondes 2017 – Un aller simple pour la lumière ! Clémentine BIDAUD 7 avril 2017/ Publié le 7 avril 2017 Ma thèse en 180 secondes : Un aller simple pour la lumière ! Clémentine BIDAUD… Vidéo Fête de la science : Driss Laraqui, jeune docteur à l’honneur 29 septembre 2020/ Publié le 29 septembre 2020 Fête de la science : Driss Laraqui, jeune docteur à l’honneur   La Fête de… Vidéo Mulhouse : cinq doctorants fourniront de l’énergie sur la lune 10 mars 2021/ Publié le 10 mars 2021 Mulhouse : cinq doctorants fourniront de l’énergie sur la lune   Tomasz Wronski, Adeline Andrieu,… Vidéo

Quel avenir pour les territoires du nucléaire en France ?

Par Sarah Journée

Publié le 2 mai 2017 Quel avenir pour les territoires du nucléaire en France ? Teva Meyer, Université de Haute-Alsace (UHA)   Le premier réacteur de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) sera arrêté samedi 22 février et le second fin juin, a confirmé ce mercredi un décret. Il annonce la fermeture définitive et totale de la centrale nucléaire la plus ancienne en France. Cette décision replace au centre du débat l’avenir des territoires du nucléaire. Les futurs gouvernements français ne pourront échapper à la nécessité de fermer certaines centrales, même s’ils décidaient de les remplacer par d’autres plus modernes. Les réacteurs nucléaires ne sont en aucun cas éternels et le remplacement de certains de leurs composants les plus importants, usés par le temps, apparaît tant techniquement difficile que peu rentable. L’expérience de Fessenheim et du mouvement d’opposition qui s’était constitué autour de l’association Fessenheim Notre Énergie dès l’annonce de sa fermeture doit servir d’avertissement. L’avenir des communes accueillant des réacteurs ne doit pas être exclusivement pensé en termes économiques. Car loin de ne représenter que des pôles d’emplois interchangeables, les centrales nucléaires ont structuré, en près d’un demi-siècle d’existence, l’identité et les liens sociaux quotidiens de leur territoire d’implantation. Il est alors fondamental d’anticiper leur transformation identitaire et sociale, au risque de répéter (à une moindre échelle) les crises qui ont frappé les régions charbonnières du nord de la France après la fermeture des mines.   Des « pays perdus » redynamisés par le nucléaire À l’inverse de l’Allemagne où les centrales ont été construites à proximité immédiate de grandes agglomérations ou dans des campagnes densément peuplées, le programme nucléaire français s’est déployé dans des territoires ruraux en déprises démographiques et économiques. Pour ces « pays perdus », selon l’expression de l’ethnologue Françoise Lafaye, l’arrivée du nucléaire symbolisait l’intégration dans un projet d’envergure qui les plaçait au cœur de la reconstruction de la nation après la guerre. En présentant les réacteurs tantôt comme de nouveaux châteaux le long de la Loire, tantôt comme des cathédrales des temps modernes, le gouvernement français inscrivait ces communes dans une continuité glorieuse du récit national, comme l’a bien décrit l’historienne américaine Gabrielle Hecht dans son ouvrage The Radiance of France.   L’installation des travailleurs du nucléaire accompagnés de leur famille a renversé le dépeuplement des campagnes sélectionnées. À titre d’exemple, la population de Fessenheim a augmenté de 120 % entre le début des travaux de la centrale en 1970 et sa mise en service sept ans plus tard. Fidèle à ses habitudes d’aménagement du territoire et de gestion de son personnel, Électricité de France (EDF) a construit des lotissements dans quelques villages autour des centrales, favorisant ainsi la concentration des agents. Celle-ci ne s’est pas faite sans frictions avec les habitants locaux qui ne voyaient pas toujours positivement l’arrivée d’une nouvelle population aux habitudes différentes, logées dans des quartiers souvent entièrement séparés du bâti historique que le géographe Louis Chabert appelait les « colonies nucléaires ». L’arrivée « des EDF » a également modifié la sociologie de ces territoires. D’extraction urbaine et diplômés, les agents de la centrale bénéficient d’un pouvoir d’achat plus élevé que les locaux. Selon l’Insee, les rémunérations des employés des centrales dépassent de près de 50 % le salaire net moyen en France ; et près de 90 % d’entre eux bénéficient de contrats à durée indéterminée.     Alors que le nucléaire a permis la sauvegarde de ces territoires, il n’est pas étonnant de voir l’industrie atomique s’immiscer jusque dans les blasons des communes, tels que Braud-et-Saint-Louis (33) et Paluel (76), où bien sur les logos des communautés de communes comme celles de l’Essor du Rhin, où se trouve Fessenheim, et de Cattenom. Pour les élus locaux, les centrales sont alors associées au maintien de la population dans les campagnes et leur fermeture est perçue comme le risque d’une disparition démographique.   Un apport financier sans commune mesure En permettant la construction de nouvelles routes et la mise en place de système d’adduction d’eau, les chantiers des réacteurs ont amélioré le quotidien de ces territoires. Ce sont toutefois les recettes des taxes foncière et professionnelle (remplacée en 2012 par l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau sans baisse substantielle de revenus) qui ont entraîné les transformations les plus flagrantes. Particularité du droit français, l’assiette de ces deux taxes est calculée pour les usines sur la base du coût des bâtiments et des machines utilisées. Ceux-ci étant particulièrement onéreux pour un réacteur nucléaire, dont la Cour des comptes a estimé la valeur à 800 millions d’euros, le montant des taxes dues par les centrales est astronomique. L’analyse des budgets des communes est sans appel. Ainsi, les recettes de fonctionnement de la celle de Paluel étaient en 2015 de 5 765 euros par habitant contre seulement 787 euros en moyenne dans les communes françaises démographiquement identiques. Après avoir permis l’embellissement des rues, des mairies et des bâtiments historiques, cette manne a servi à financer, au gré des choix des élus locaux, des infrastructures de loisirs inhabituelles pour de petites communes rurales : piscines, bibliothèque, médiathèques, gymnase, salle de concert, etc. Exemple parmi d’autres, Saint-Vulbas, où se trouve la centrale du Bugey, jouit ainsi d’un palais des congrès ainsi que d’un centre aquatique pour un peu plus de mille habitants. En permettant le développement de ces lieux, le nucléaire a structuré les temps de loisirs et les liens sociaux dans ses territoires d’implantation.   Une industrie omniprésente au quotidien Les recettes fiscales du nucléaire ont également permis aux territoires hôtes de mettre en place des services de grande qualité : raccordement des habitants à la fibre optique à Chooz, acquisition d’un chalet dans les Hautes-Pyrénées pour Braud-et-Saint-Louis, centre de dialyse à Belleville-sur-Loire, festival de musique d’envergure internationale à Avoine, la liste est longue. Ces services sont orchestrés par des centres communaux d’action sociale (CCAS) profitant de subventions municipales dix fois plus importantes en moyenne que le reste des communes françaises. L’argent permet également aux écoles d’offrir des prestations autrement inaccessibles. À Fessenheim, où était installée la famille de Victor Schoelcher, père de l’abolition de l’esclavage, les écoliers profitent ainsi d’un échange scolaire avec la…

Pour un enseignement de qualité des langues à l’université (3)

Par Sarah Journée

Publié le 17 février 2016 Pour un enseignement de qualité des langues à l’université (3) Marielle Silhouette, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières; Alain Bideau, Université de Tours; Anne Lagny, ENS de Lyon; Séverine Adam, Sorbonne Université; Sonia Goldblum, Université de Haute-Alsace (UHA) et Thierry Grass, Université de Strasbourg The Conversation France a décidé de publier une série de trois articles sur le thème de l’enseignement des langues face aux réformes en cours, dans le cadre d’un dossier coordonné par Marielle Silhouette, professeure à Paris X et présidente de l’Association des germanistes de l’enseignement supérieur. L’enseignement des langues vivantes à l’université se répartit entre langue pour spécialistes et langue dite pour non-spécialistes ou pour spécialistes d’autres disciplines (LANSAD). Dans la langue pour spécialistes, on regroupe les départements de Langues, Littératures et Civilisations Étrangères et Régionales (LLCER) où tout l’enseignement porte sur l’apprentissage d’une langue et de sa culture, et les départements de LEA (Langues Étrangères Appliquées) où dès la première année, le cursus intègre à part égale deux langues vivantes étrangères, la civilisation des pays concernés et une compétence pratique en droit, économie et gestion. Depuis une trentaine d’années, on a vu aussi se développer les bi-cursus par lesquels la spécialisation dans une discipline (histoire, lettres, droit, etc.) intègre la connaissance théorique et pratique de cette dernière dans une langue et culture autre. Poursuite de l’apprentissage Quand ils ne sont pas directement spécialistes, les étudiants ont, dans leur cursus, un cours de langues vivantes, souvent obligatoire, mais parfois aussi optionnel, composé en moyenne de deux heures hebdomadaires, qui constitue souvent la poursuite de l’apprentissage réalisé dans le secondaire. La seule différence avec le collège et le lycée, mais elle est de poids, est que l’apprentissage d’une seconde, voire d’une troisième langue vivante (en primo-débutant ou grand débutant par exemple) dépend à l’université de la seule volonté de l’étudiant(e) qui peut alors le faire valoir dans son cursus au titre des options. Ces cours de langue pour non-spécialistes sont assurés soit dans les départements de LLCER, soit par des titulaires ou chargés de cours directement rattachés au département de la discipline, soit dans des centres de langue. En fonction de leur histoire spécifique, de la présence ou non dans leurs murs de filières spécialisées de LLCER, ou d’un choix politique réalisé en faveur d’un enseignement distinct des langues vivantes pour spécialistes et non-spécialistes, certaines universités françaises ont en effet créé des centres spécifiques dévolus au seul enseignement de ces langues pour non-spécialistes, l’attribution des moyens – en postes d’enseignants, en structures adaptées à l’enseignement d’une langue vivante (comme des laboratoires de langue, par exemple) – se trouvant très souvent reversée à ces centres au détriment des départements LLCER. Signe des temps et de la précarisation des personnels à l’université, ces centres recrutent aussi parfois « au fil de l’eau » des enseignants de niveau licence ou master pour assurer ces cours de langues au détriment, par exemple, des enseignants du secondaire titulaires d’un concours et détachés dans le supérieur, PRAG (professeurs agrégés) et PRCE (professeurs certifiés). Il n’est pas sans importance de noter que l’anglais étant devenu ces dernières années la lingua franca de notre temps, l’enseignement non spécialiste dans cette langue doit accueillir des effectifs pléthoriques qui, eux-mêmes, devraient appeler un recrutement massif d’enseignants à même de les encadrer. Mais certaines universités, à l’inverse, ont opté partiellement pour des solutions en auto-apprentissage à partir de plate-formes ou de logiciels spécialisés dont la qualité est souvent discutable. Désaffection des langues rares Inversement, les autres langues, pour certaines désormais qualifiées de « rares », se trouvent désaffectées, les moindres effectifs entraînant, on le sait, par la toute-puissance du calcul comptable, une moindre dotation en postes et en moyens qui, à son tour, peut mettre en péril l’existence même de la formation. Si le récent rapport STRANES (Propositions pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, septembre 2015) insiste dans son axe 2 sur la nécessité de « développer l’internationalisation de notre enseignement supérieur », d’« élever le niveau des étudiants en langue étrangère et [de] favoriser le développement inter-culturel » (proposition 9 de cet axe 2), il n’en reste pas moins que cet appel de principe, auquel chacun(e) souscrira, se heurte à des difficultés majeures et croissantes : la récente réforme du collège a pour conséquence une réduction du nombre des heures dévolues à l’apprentissage de la langue vivante 1 et 2, un fait dont l’enseignement supérieur, si l’on suit les termes de ce rapport, devrait s’employer à contrecarrer les effets alors qu’il se trouve lui-même confronté à une baisse constante de ses moyens budgétaires. Les départements de langues vivantes étrangères souffrent sur ce point, comme les lettres et sciences humaines en général, d’un manque d’encadrement en enseignants titulaires : les postes ouverts au concours de maîtres de conférences et de professeurs des universités se font chaque année plus rares, des centaines de docteurs formés à un très haut niveau de compétence sont dans l’incapacité d’accéder à un poste fixe dans le supérieur et rejoignent ainsi le nombre toujours plus important de chargé(e) s de cours auxquel(le) s nos universités font désormais appel. Connaissance culturelle Plus généralement, ces départements se trouvent largement remis en question par le statut même que l’enseignement de la langue vivante a acquis au fil des politiques des dernières décennies : il est en effet de plus en plus difficile de faire accepter l’idée que la maîtrise linguistique n’est pleinement opérante que si elle s’accompagne d’une connaissance culturelle approfondie permettant l’accès aux codes du pays, la compréhension et l’intégration de la différence. La formation de spécialistes en langues, littératures et civilisations étrangères semble secondaire au regard de la production de locuteurs, certes à même de manipuler de manière plus ou moins correcte des structures linguistiques, mais incapables de les penser, autrement dit de les identifier et de réfléchir à leur fonctionnement particulier dans le système de la langue étudiée, ni de les restituer dans une histoire et une culture spécifiques. Le niveau seuil requis, B1-B2 du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL), correspond à la seule capacité de comprendre une…