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Aide sociale à l’enfance : ces mineurs pris en charge qui entrent dans la prostitution

Par Sarah Journée

Publié le 24 septembre 2024 Aide sociale à l’enfance : ces mineurs pris en charge qui entrent dans la prostitution Héléna Frithmann, Université de Strasbourg et Nathalie Gavens, Université de Haute-Alsace (UHA) Associations et acteurs de la société civile manifestent ce mercredi 25 septembre pour la protection de l’enfance. Retour sur les résultats d’une enquête menée au sein des établissements de l’aide sociale à l’enfance alors que certains mineurs pris en charge se prostituent. Le récent rapport de France Stratégie sur les ruptures de parcours de jeunes accompagnés par l’aide sociale à l’enfance met en exergue les carences au sein du système de protection de l’enfance en France. Certaines sont parfois sous-évaluées. Suite à plusieurs faits, une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance a été créée en mai 2024. Son objectif était de « faire la lumière sur les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance ». Cependant, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, cette commission a été brutalement arrêtée. Nos recherches récentes dans le domaine de la prostitution soulignent toutes les fragilités de ce public et rappellent l’urgence de poursuivre la mise en lumière des fonctionnements et des manquements de l’aide sociale à l’enfance.   Les failles de la protection de l’enfance Selon sa définition, la protection de l’enfance en France « vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ». Il s’agit donc pour l’État de prendre le relais et d’aider les familles en difficulté afin d’assurer la sécurité et le développement des enfants qui lui sont confiés. Or, depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour dénoncer les failles de ce système puisque le devenir des enfants placés est plus sombre que celui des enfants qui grandissent dans leur environnement familial : (scolarité complexe, mais aussi risque plus élevé de vivre une période sans domicile fixe, ou passage à la vie adulte plus difficile et teinté d’obstacles, etc.).   Des mineurs pris en charge par l’ASE victimes de prostitution En tant que chercheuses en Sciences de l’Éducation et de la Formation et en Psychologie, nous avons travaillé plusieurs années sur le public des mineurs placés en protection de l’enfance. Une partie de nos recherches porte sur la prise en charge de ces jeunes, notamment via une réflexion sur les dispositifs de prévention et de soutien des jeunes, de leurs parents et des professionnels qui les accompagnent. Des dysfonctionnements particulièrement alarmant concernent le phénomène de la prostitution des mineurs, présent dans des établissements de la protection de l’enfance. La prostitution peut se définir comme le fait de « se prêter, contre rémunération ou avantage en nature ou la promesse de l’un d’eux, à des relations sexuelles physiques ou virtuelles ». La prostitution juvénile est un sujet mal connu du grand public et de nombreux professionnels qui accompagnent des mineurs. Pourtant, ce phénomène semble prendre de l’ampleur ces dernières années. Comme le souligne ce dossier de presse, la fourchette de mineurs concernés par la prostitution mentionnée dans le document n’est qu’approximative et largement sous-estimée. Concernant la protection de l’enfance, une estimation de 2021 met en avant un chiffre d’« environ 15 000 mineurs victimes de prostitution uniquement au sein de l’aide sociale à l’enfance ». Les mineurs confiés semblent donc particulièrement touchés par ce phénomène. Ces jeunes sont vulnérables au niveau médico-psychologique et social. Leurs parcours sont souvent marqués par des ruptures, des traumatismes, des carences affectives et éducatives, de multiples violences, des phénomènes de brisures et des problématiques d’attachement qui peuvent conduire à des conduites à risques comme les scarifications, les crises suicidaires, les fugues, les addictions à divers objets ou encore la prostitution. Pour les protéger, l’État dispose de plusieurs mesures, dont l’accueil en établissements de la protection de l’enfance. Dans ce cas, l’enfant est placé de manière provisoire dans un lieu d’hébergement comme un foyer de l’enfance, une maison d’enfants à caractère social ou encore un foyer d’action éducative. Ces établissements ont pour mission d’assurer le maintien de la santé physique et psychique, la sécurité et la moralité des jeunes ainsi que leur structuration et insertion sociale, scolaire et professionnelle. Cependant, force est de constater que la mesure de placement peut amener certains jeunes à entrer dans la prostitution.   Ce qui favorise l’entrée dans la prostitution Suite aux résultats de nos recherches menées sur le terrain auprès d’adolescentes placées, nous proposons ici d’expliciter trois éléments qui nous semblent favoriser la mise en place d’une telle conduite. D’abord, ces structures d’accueil peuvent être considérées par les riverains ou les personnes renseignées et mal intentionnées comme des « cibles » : « les professionnels qui y travaillent mettent en avant le fait que des recruteurs, des proxénètes et des clients connaissent la localisation de la structure et savent que des mineures vulnérables y sont hébergées. Elles sont donc régulièrement abordées dans la rue aux alentours de la structure par ces individus afin d’avoir des rapports sexuels tarifiés », comme le montre notre recherche. Ensuite, les jeunes placés en établissements vivent au quotidien dans un lieu d’hébergement collectif. Ce nouvel environnement de vie n’est pas sans conséquence sur leur quotidien. En effet, la mesure de placement en structure est un bouleversement important dans leur vie puisqu’elle induit la séparation avec leurs familles, leurs amis, la sphère scolaire et de manière plus globale leurs repères et habitudes. Dans certaines situations, la mesure de placement renforce donc le besoin d’appartenance et de reconnaissance de ces jeunes à un groupe, souvent le groupe de pairs de l’établissement.   Les fréquentations des jeunes placées Dans notre étude, suite à leur arrivée au foyer et via des relations nouées dans la structure, les adolescentes développent un sentiment d’appartenance important au groupe de paires de l’établissement. Par ce biais, elles sont rapidement mises en lien avec des conduites à risques comme les fugues, la consommation d’alcool, de produits psychotropes et l’initiation à certaines pratiques sexuelles, avant d’entrer dans la pratique prostitutionnelle. Enfin, les…

Manquera-t-on de bière demain à cause du changement climatique ?

Par Sarah Journée

Publié le 20 septembre 2024 Manquera-t-on de bière demain à cause du changement climatique ? Gaël Bohnert, Université de Haute-Alsace (UHA) Une étude menée en Alsace montre que le changement climatique aura des effets significatifs sur le secteur brassicole. Dans cette région, les récoltes de malt et de houblon seront affectées, de même que les conditions de production industrielle. Dans le même temps, les goûts des consommateurs sont en train de changer. Les amateurs de bière n’auront pas manqué de remarquer la profonde mutation que connaît le secteur brassicole depuis quelques années. Elle se manifeste principalement par ce qui a été nommé la « craft beer revolution », autrement dit la multiplication des micro-brasseries artisanales. Il en a découlé une diversification des styles de bières, produites tant par ces nouvelles micro-brasseries que par des groupes multinationaux qui s’en inspirent, pour le plus grand plaisir des palais à la recherche de nouvelles saveurs. Un élément pourrait néanmoins venir perturber cette évolution : le changement climatique. Une étude que nous avons menée en 2020 en Alsace met en effet en évidence diverses conséquences que le changement climatique peut avoir sur le secteur brassicole. Selon le niveau de la filière concernée, on peut distinguer trois types d’effets : les impacts agricoles portant sur l’approvisionnement en matières premières, les impacts industriels dédiés aux processus de brassage et les impacts indirects résultant de la modification des attentes des consommateurs.   Le malt et le houblon menacés D’après mes entretiens, les plus forts effets du changement climatique sont à redouter dès l’amont de la filière : « Les plus gros risques pour la bière, c’est sur l’agriculture », m’a ainsi assuré un brasseur. Ces risques portent à la fois sur la quantité et sur la qualité de l’approvisionnement en malt (produit principalement à partir d’orge) et en houblon, les principales matières premières qui composent la bière après l’eau. Ce sont notamment les périodes de sécheresse qui inquiètent. Les rendements de l’orge et du houblon pourraient être significativement réduits par une baisse des précipitations estivales, justement annoncées par les projections climatiques dans la région. Sur l’aspect qualitatif, c’est davantage le houblon qui concentre les préoccupations. Alors qu’il est utilisé en grande partie pour donner son amertume à la bière, les fortes températures, appelées à être de plus en plus courantes, entraînent une baisse de la concentration des acides alpha, molécules responsables de cette amertume. Pour se prémunir d’un approvisionnement déficient en quantité ou qualité, certains brasseurs envisagent – voire testent déjà – plusieurs mesures. Une première réponse est de changer de fournisseurs, afin de faire venir les matières premières de régions moins affectées, comme le Royaume-Uni. Une stratégie qui ne suffira pas à long terme, si les brasseurs du monde entier se tournent vers le voisin britannique pour s’approvisionner. L’autre piste évoquée consiste à optimiser les processus de production, voire modifier les recettes, afin de limiter la quantité de matières premières nécessaires. Ce qui aboutirait à des bières moins fortes – qui dit moins de sucres apportés par le malt pour la fermentation dit moins d’alcool produit – ou moins houblonnées. Un brasseur va même jusqu’à expérimenter des bières sans houblon, qu’il remplace par de l’achillée mille-feuille ou du lierre terrestre pour aromatiser. Les impacts industriels Si les conséquences du changement climatique sur la production de bière en elle-même semblent moins prononcées que sur l’amont agricole, elles ne sont pas négligeables. L’eau, premier ingrédient de la bière puisqu’elle en compose 90 à 95 % de la masse des ingrédients, est la principale problématique en la matière. Une brasserie efficiente consommera ainsi entre 4 et 7 litres d’eau pour produire 1 litre de bière : face à l’intensification des sécheresses, de nombreux brasseurs craignent de se voir imposer des restrictions d’eau qui les forceraient à arrêter ou réduire leur activité pendant l’été. Des mesures d’économies sont alors entreprises, la plus répandue étant de récupérer l’eau de refroidissement. Une autre difficulté peut provenir des fortes chaleurs : les cuves de fermentation doivent être maintenues à une température relativement constante et fraîche (4-13 °C pour la fermentation basse et 16-24 °C pour la fermentation haute). Sur ce point, la popularité des bières de fermentation haute dans le monde de la brasserie artisanale (bières souvent plus fortes en alcool et en goût, IPA par exemple) pourrait rendre ces dernières moins vulnérables aux fortes chaleurs que les grandes brasseries les plus industrialisées, qui ont fondé leur croissance sur le développement de bières de fermentation basse, qui nécessite plus d’énergie en cas de fortes chaleurs : c’est le cas des lagers, bières généralement moins fortes et visant essentiellement le rafraîchissement : « Le refroidissement est une question, parce que sur les consommations électriques, ça pèse environ un tiers de la consommation électrique » constate un brasseur. Si aucun des brasseurs rencontrés n’avait rencontré ce cas extrême lors de nos échanges, des températures trop élevées peuvent également aller jusqu’à rendre impossible un refroidissement suffisant. Le choix peut alors être fait de mettre en pause la production pendant les mois les plus chauds, mais ce sont surtout des mesures structurelles qui sont mises en avant pour réduire les besoins en froid et donc la consommation énergétique (isolation notamment). Une stratégie peut aussi être de sécuriser l’accès à une électricité propre et peu chère car autoproduite, en installant des panneaux photovoltaïques sur le toit de la brasserie par exemple.   Des consommateurs plus exigeants Enfin, au-delà de ces impacts directs, le changement climatique engendre d’autres effets indirects sur le secteur brassicole. Il s’agit de s’adapter aux évolutions que ces perturbations entraînent au niveau de la consommation. Si la bière est généralement considérée comme une boisson rafraîchissante, l’alcool qu’elle contient est peu recherché en période de canicule et les bars moins fréquentés. Ce comportement concorde d’ailleurs avec les recommandations publiques. Selon certains brasseurs interrogés, le développement de bières sans alcool vise ainsi explicitement à s’adapter à cette évolution de la demande lors des fortes chaleurs. Surtout, la médiatisation du changement climatique a fait naître de nouvelles attentes de durabilité, opportunités pour se déployer sur de nouveaux marchés (circuits courts, agriculture biologique, consigne…

Crises de l’eau : comment gérer les conflits d’usage ?

Par Sarah Journée

Publié le 17 août 2024 Crises de l’eau : comment gérer les conflits d’usage ? Bruno Camous, Université de Haute-Alsace (UHA) et Marc Bollecker, Université de Haute-Alsace (UHA) En ce mois de mai 2025, l’ensemble de la France s’apprête à connaître sa cinquantième vague de chaleur depuis le début des mesures en 1947. Avec les canicules qui se multiplient, les objectifs de sobriété dans les usages de l’eau génèrent des conflits d’usage. Quels outils pour en sortir ? Les épisodes de sécheresse se succèdent en France ainsi que dans le Nord de l’Europe. Après plusieurs étés caniculaires, le président de la République annonçait le 30 mars 2023 un « Plan Eau ». Celui-ci vise à garantir la sobriété de tous les usages et à réduire de 10 % les prélèvements sur la ressource d’ici 2030. Concrètement, la mise en œuvre de ce plan d’action s’organise autour de 5 axes stratégiques : organiser la sobriété des usages de l’eau pour tous les acteurs, optimiser la disponibilité de la ressource, préserver la qualité de l’eau, être capable de mieux répondre aux crises de sécheresse et mettre en place les moyens d’atteindre ces ambitions. Les quatre premiers axes nécessitent de nombreux investissements : 15 milliards d’euros seraient nécessaires pour moderniser les installations, remplacer les canalisations et accroître la digitalisation des relevés et des factures d’eau. À cela s’ajoute l’évolution de la réglementation sur la qualité et le traitement de l’eau qui pourrait conduire à doubler le montant des investissements. Il faut aussi composer avec la hausse du coût de l’énergie et des charges d’exploitation. Pour assurer la mise en place et la pérennité des investissements, le cinquième axe stratégique doit permettre de débloquer les moyens financiers face aux capacités d’autofinancement limitées des exploitants. Or, plusieurs acteurs du secteur tirent la sonnette d’alarme.   Faire plus avec moins La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, ainsi que la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau soulignent que les efforts nécessaires de sobriété, en réponse à la sécheresse historique de 2023, ont engendré une diminution des volumes consommés de l’ordre de 3 à 4 %. Si cette diminution paraît positive au regard de l’objectif de préservation de la ressource, elle engendre également pour les exploitants et collectivités une réduction significative de leurs recettes. Les inquiétudes sont aussi liées à l’abandon, par le gouvernement d’Élisabeth Borne, de l’augmentation de la redevance sur les pollutions diffuses, perçue sur la vente de pesticides, et celle sur les prélèvements d’eau pour les cultures irriguées. Bien que compréhensible au regard des charges qui pèsent déjà fortement sur un secteur agricole sous pression, la suppression de ces hausses de redevances n’est pas sans conséquences sur le financement du Plan Eau. La première devait initialement rapporter 37 millions d’euros de recettes supplémentaires aux Agences de l’eau pour le financement du traitement des eaux, la seconde 10 millions d’euros. En contrepartie de cette perte financière, une contribution exceptionnelle de 100 millions d’euros à destination du Plan Eau était prévue, au travers du versement d’une redevance par EDF pour le refroidissement en eau de ses centrales nucléaires. Ici aussi, la possibilité pour les Agences de l’Eau de toucher les sommes promises semble de plus en plus incertaine. Dans ce contexte, une hausse généralisée des factures d’eau pour les citoyens n’est pas à exclure pour réussir à financer l’adaptation des réseaux aux enjeux du changement climatique.   Des risques de conflits d’usages La nécessité d’une consommation raisonnée de la ressource en eau vient aujourd’hui remettre en question le principe de « l’eau paie l’eau » : les recettes issues de la facture d’eau financent à plus de 80 % la gestion et l’exploitation des services. Si le modèle économique actuel du secteur montre ses limites par rapport à son incidence sur le prix de l’eau pour les ménages, il pose aussi des problèmes d’acceptation sociale dans un environnement où la demande va devoir s’adapter à la disponibilité de la ressource. À l’heure actuelle, les prérogatives du Plan Eau prévoient une diminution de la consommation d’eau des particuliers et des industriels de l’ordre de 10 % à l’horizon 2030, mais pas pour le secteur agricole ou énergétique (refroidissement des centrales nucléaires). Or, à l’échelle nationale, 62 % des consommations d’eau proviennent de l’irrigation des terres agricoles et 14 % de l’énergie. Cette priorité accordée au secteur agricole est à l’origine des violences de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, au printemps 2023. Les « réserves de substitution » ou « méga-bassines » visent à pomper l’eau des nappes phréatiques pour la stocker en vue de l’irrigation estivale des cultures. Indispensable pour une agriculture intensive en période de sécheresse, ce procédé est décrié en partie pour l’accaparement de la ressource qu’il engendre au profit du secteur agro-industriel. Un moratoire de 10 ans a été voté le 06 mai 2025 à l’assemblée nationale sur le déploiement de ces méga-bassines. Face à ces protestations et à un prix de l’eau en constante augmentation, les opérateurs principaux locaux – les collectivités et exploitants des réseaux – se trouvent en difficulté. Comment gèrent-ils les attentes contradictoires des différents usagers de l’eau potable ?   Penser globalement la gestion de l’eau Une des solutions aux paradoxes économique et budgétaire du secteur, mais aussi aux conflits d’usages induits par la raréfaction de la ressource, est la mise en place de systèmes de pilotage de l’eau sous la forme de « package ». Les recherches en sciences de gestion désignent par « package » un ensemble de systèmes et d’outils de gestion introduits par différents groupes d’acteurs et à des moments différents. Ils génèrent souvent incohérence organisationnelle, lourdeur administrative et incompréhension des agents et des usagers s’il n’est pas pensé globalement. Notre étude récente s’est penchée sur le processus de création de l’un de ces packages au sein d’une régie d’eau. Celui-ci se compose de cinq catégories d’outils : une convention d’objectifs pour déterminer les principaux objectifs stratégiques de la régie ; un rapport trimestriel pour opérationnaliser la liste d’indicateurs de performance de la convention d’objectifs et faciliter le transfert d’information entre la régie et la collectivité ; un accord d’intéressement pour renforcer la cohésion du personnel et le travail de l’ensemble des agents dans une direction commune ; des…

La démocratie libérale suppose un monde partagé

Par Sarah Journée

Publié le 11 juillet 2024 La démocratie libérale suppose un monde partagé Renaud Meltz, Université de Haute-Alsace (UHA) La séquence politique qui s’est ouverte avec la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin a fait surgir une crainte : que, pour la première fois depuis 1940, la France rompe avec la démocratie libérale. La campagne électorale de ces dernières semaines a également donné lieu à plusieurs commentaires sur un retour aux années 1930, comme si l’histoire était cyclique et que la démocratie libérale devait périodiquement être remise en question par un autre modèle. Or la dynamique des populismes en France, comme à l’échelle mondiale, illustre cette lutte séculaire entre la démocratie libérale et l’autoritarisme. Elle manifeste que l’empire sans limite du libéralisme dans toutes les sphères d’activité des citoyens peut trahir l’espoir d’égalité politique mais aussi économique et sociale de la démocratie, et engendre une revanche de la démocratie illibérale – un jeu ancien, dont les années 1930 n’ont été qu’un moment parmi d’autres.   « Les années 1930 sont devant nous ! » « Les années 1930 sont devant nous ! » En novembre 1990, Gérard Granel, philosophe injustement oublié, héritier improbable de Marx et Heidegger, joue l’oiseau de mauvais augure avec cette prophétie à contretemps du triomphalisme occidental. France Culture, l’histoire de la « fin de l’histoire ».   Un an plus tôt, Francis Fukuyama a publié La fin de l’histoire (Flammarion, 1992 pour l’édition française), essai dans lequel il constate la victoire du libéralisme occidental, économique et politique. Après la chute de l’URSS, loin de se répandre comme un modèle unique, la démocratie libérale a bientôt révélé ses contradictions internes. Granel l’a compris d’emblée : ce triomphe masque une nouvelle « lame de fond populiste ». Le philosophe ne prédit pas le retour des années 1930, mais le soubresaut d’un processus historique commencé depuis plusieurs siècles.   L’avènement d’une démocratie sans libertés ? Le totalitarisme des années 1930 avait le visage de l’immixtion de l’État dans toutes les sphères de la société, caractéristique du nazisme des années 1930. Quel visage prendra le prochain « renversement du système démocratique et libéral » ? En philosophe plutôt qu’en historien, Granel prévoit que le libéralisme sans la démocratie est préparé par la mobilisation totale de la société au service de la production de richesse. L’économie mondialisée a tout digéré, le politique comme la sphère culturelle ou toute autre activité humaine non productive de richesse. La liberté sans la démocratie prépare-t-elle une démocratie sans libertés ? Granel était loin d’être le seul à dénoncer le capitalisme sans entrave au seuil des années 1990. L’année où il prononce sa conférence, le film Pretty Woman sort sur les écrans. Cette fable autour du mythe de Pygmalion fit la célébrité mondiale de Julia Roberts et trouva une audience évidemment sans commune mesure avec la prophétie de Granel. Bande annonce du film Pretty Woman, 1990.   L’intrigue amoureuse entre la prostituée et l’homme d’affaires s’entremêle à un autre fil narratif, qui peut, à mon sens, apparaître comme un propos discrètement politique. Faut-il continuer à délocaliser l’industrie américaine pour augmenter le profit des financiers ? Film hollywoodien, Pretty Woman se termine par un double happy-end : le loup de Wall Street renonce à dépecer un chantier naval américain ; il préfère le recapitaliser pour maintenir l’activité sur le sol national. Cette dénonciation vertueuse de la recherche sans fin du profit est promue par l’industrie des loisirs mondialisés. Cette ruse de l’histoire, vicieuse, n’avait pas de quoi surprendre Granel. On sait ce qu’il en a été de la dynamique sans limite de la recherche de profit, ce libéralisme sourd à la démocratie : les ouvriers, las d’être une variable négligeable dans la course au profit, ont voté pour le protectionnisme de Donald Trump et fragilisé leurs propres libertés individuelles.   La démocratie libérale, rare jeu d’équilibre entre libertés individuelles et politiques Revenons au fondement du projet politique moderne. On se souvient parfois confusément d’une lutte entre les forces révolutionnaires et contre-révolutionnaires qui ont ponctué notre modernité politique, comme une série de couples. Pensons à la Grande révolution (de 1789) et la Restauration (1814-1830) ; les Trois glorieuses (juillet 1830) et le libéralisme conservateur de François Guizot. Celui-ci était à la fois théoricien du libéralisme, hostile à la souveraineté populaire et à la démocratie sous la monarchie de Juillet. Enfin, février puis juin 1848 et l’Ordre moral ; jusqu’à la lutte entre monarchistes et républicains sur les décombres du Second Empire, qui voient la victoire des seconds, bientôt contestée par les Boulangistes ou les socialistes.   La « démocratie » au XIXᵉ, une réalité plus sociale ou juridique La « démocratie » désigne pour les hommes du début du XIXe siècle une réalité plus sociale ou juridique que politique : les droits fondamentaux accordés à tous, qui brisent la société d’ordre, bien plus que le suffrage universel, alors décrié par les libéraux. Alors, les républicains, qui admettent la démocratie politique et le suffrage universel, s’inspirent du modèle de l’antiquité grecque : un projet collectif qui transcende les intérêts particuliers. Il est juste d’imposer aux individus un bien commun, quitte à négliger les intérêts de la minorité. Face à eux, les libéraux attendent du gouvernement l’ordre et la stabilité qui permet aux individus de poursuivre librement leurs intérêts particuliers. Loin de souhaiter la démocratie, ils vouent aux gémonies la tyrannie de la majorité, la démagogie du grand nombre. La démocratie, pouvoir confié au peuple, qui arroge à la majorité le pouvoir de contraindre la liberté de la minorité, et le libéralisme qui vise l’autonomie de l’individu, n’étaient pas voués à se marier. Les libéraux comme Guizot luttaient en théorie comme en pratique contre la tyrannie de la démocratie, la démagogie du pouvoir confié à la masse. De fait, le projet démocratique, au temps des démocraties populaires, dans le bloc soviétique, a fait fi des libertés individuelles. Aussi bien d’un point de vue historique, la « démocratie libérale » a longtemps été un oxymore. C’est une chimère rare qui se crée à l’orée du XXe siècle : la démocratie libérale. On oublie que l’Europe continentale n’en connaît que deux, alors : la France et la Suisse. Le reflux illibéral de nos fameuses années 1930 referme une parenthèse très courte favorable à la démocratie libérale, née…

Endométriose : et si l’activité physique aidait à combattre les symptômes ?

Par Sarah Journée

Publié le 12 mars 2024 Endométriose : et si l’activité physique aidait à combattre les symptômes ? Marie-Anne Jean, Université de Haute-Alsace (UHA); Géraldine Escriva-Boulley, Université de Nîmes et Tracy Milane, Université de Haute-Alsace (UHA) Des études préliminaires suggèrent un intérêt de l’activité physique adaptée pour atténuer les symptômes de l’endométriose. Des programmes sont lancés pour confirmer ces résultats. Il est encore possible de participer à l’une de ces études toujours en cours. Douleurs pelviennes et fatigue sont les symptômes les plus récurrents de l’endométriose, cette affection chronique caractérisée par la présence de tissu de l’endomètre en dehors de la cavité utérine ; l’endomètre étant la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus et qui est éliminée pendant les règles. Mais l’endométriose est aussi fréquemment associée à des troubles digestifs, des douleurs neuropathiques (qui sont des douleurs relatives à une lésion ou à un dysfonctionnement du système nerveux, notamment lorsque ces douleurs sont intenses et persistantes), à des douleurs lors des rapports sexuels, ou encore à de l’infertilité. L’endométriose est aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique au regard de ses conséquences sur la vie des personnes atteintes et du nombre de femmes concernées, près de 10 % d’entre elles. Les répercussions de cette maladie peuvent être invalidantes et toucher tous les domaines de la vie des personnes atteintes. Le phénomène peut être exacerbé par la chronicité des symptômes qui, pour certaines femmes, ne se limitent pas à la période des règles. Ils peuvent être chroniques, survenir durant le syndrome prémenstruel, au moment de l’ovulation…   S’interroger sur les bénéfices de l’activité physique dans l’endométriose Nous savons déjà que pratiquer de l’activité physique se révèle bénéfique pour réduire les douleurs chroniques, neuropathiques et les processus inflammatoires associés. Faire de l’exercice physique améliore également le bien-être physique et mental chez les douloureux chroniques mais aussi chez des personnes atteintes d’autres pathologies comme des cancers. C’est pourquoi il est possible de penser que dans le cadre de l’endométriose, l’activité physique pourrait aussi améliorer la qualité de vie ainsi que les symptômes douloureux. Ces suppositions sont renforcées par la mise en évidence de la réduction de marqueurs inflammatoires et une réduction des lésions dans des études chez l’animal. Mais ces conclusions chez l’animal ne peuvent pas être extrapolées à l’humain. C’est pourquoi des études chez les femmes sont nécessaires. A notre connaissance, une douzaine d’études a été réalisée pour étudier les effets de l’activité physique et de l’exercice sur les douleurs pelviennes et le bien-être physique et mental des personnes atteintes d’endométriose. Bien qu’un effet positif sur la gestion de la douleur et l’amélioration des symptômes anxiodépressifs ait été observé, les résultats de ces études ne permettent pas de démontrer sans équivoque les bénéfices de l’activité physique sur cette maladie.   Douleurs, stress et anxiété : principaux freins à la pratique En termes d’activité physique, les femmes atteintes d’endométriose seraient moins actives. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’elles sont davantage exposées aux symptômes d’anxiété et de dépression, qu’elles ont plus de difficultés à gérer le stress et qu’elles sont plus sensibles à la douleur physique que les autres. La combinaison de tous ces facteurs, associée à la peur d’amplifier les douleurs par le mouvement, a tendance à enfermer les personnes atteintes d’endométriose dans un cercle vicieux de sédentarité. Dit autrement : quand une personne est pliée en deux de douleur, le premier réflexe n’est pas de faire de l’activité physique !   Le programme CRESCENDO sur la pratique sportive et l’endométriose Nous avons mené une étude, baptisée programme CRESCENDO pour « aCRoitre le Sport et l’Exercice pour Combattre l’ENDOmétriose ». Dans la première partie de cette étude nous avons mené une enquête par questionnaire auprès de 470 personnes (âge moyen de 31 ans, écart type de 10 ans). Près de la moitié d’entre elles (47 %) était atteinte d’endométriose. Les résultats du questionnaire n’ont révélé aucune différence dans les niveaux d’activité physique légère (exemple la marche), modérée (exemple le jogging) et vigoureuse (exemple le trail ou le sprint) entre les femmes atteintes d’endométriose et celles qui ne le sont pas. Néanmoins, d’autres différences ont été mises en évidence. Les femmes atteintes d’endométriose montrent une motivation plus importante envers l’activité physique, c’est-à-dire qu’elles ont intégré le fait que l’activité physique peut être bénéfique. Elles ne pensent pas que l’activité puisse présenter un danger pour elles. Cependant, elles se perçoivent comme n’étant pas libres de pratiquer quand elles le souhaitent (faible contrôle comportemental). Leur état de santé apparait comme l’obstacle le plus important à leur pratique. Elles ont un score plus élevé de frustration des besoins de compétence et de proximité sociale. Autrement dit, lorsqu’elles font de l’activité physique, elles se sentent davantage incompétentes et rejetées par les autres. De même, lorsqu’on les interroge, elles pensent que les femmes malades, comme elles, manquent d’intérêt et d’habiletés pour l’activité physique. Les effets secondaires sont également un frein. Les analgésiques (ou antidouleurs), par exemple, peuvent causer des problèmes d’estomac, des nausées, des maux de tête, des vomissements, de la fatigue, des vertiges et des changements de pression artérielle. Quant à la thérapie hormonale, elle peut induire des problèmes de sommeil, de l’anxiété, de la dépression et des douleurs articulaires.   Des premiers résultats à confirmer sur la fatigue, le bien-être et la douleur Nous avons ensuite construit et testé notre programme sur dix femmes volontaires en leur proposant plusieurs types d’activités physiques adaptées, pratiquées à différentes intensités. Les séances axées sur la mobilité et le stretching (c’est-à-dire des activités dites « douces ») semblent avoir davantage de bénéfices sur la douleur par comparaison avec les séances d’activités de renforcement musculaire ou cardiovasculaires. Mais ces deux dernières ont donné de meilleurs résultats quand elles étaient pratiquées ensemble pour améliorer la fatigue et le bien-être. En résumé, les résultats globaux (tous types d’activités confondus) suggèrent une amélioration significative de la douleur et une tendance à l’amélioration de la fatigue et du bien-être. Chaque personne semble réagir différemment en termes de perception et de tolérance à la douleur suivant les types d’efforts et de séances, mais également suivant les moments du cycle, de la…

Endométriose chez les adolescentes : une prise en charge précoce est nécessaire

Par Sarah Journée

Publié le 14 février 2024 Article aussi disponible en espagnol ici Endométriose chez les adolescentes : une prise en charge précoce est nécessaire Laura Bollinger, Université de Haute-Alsace (UHA); Géraldine Escriva-Boulley, Université de Haute-Alsace (UHA) et Nathalie Gavens, Université de Haute-Alsace (UHA) Bien qu’une femme sur dix soit concernée par cette maladie invalidante, l’endométriose demeure largement méconnue. Face aux nombreux défis qu’elle suscite, il devient essentiel de lui accorder une attention particulière. L’endométriose est une maladie gynécologique qui se caractérise par la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de la cavité utérine, principalement mais non exclusivement dans la zone abdomino-pelvienne (ovaires, intestin, péritoine…).   L’endométriose peut se déclarer dès les premières règles Loin d’être réservée à la femme adulte, l’endométriose peut apparaître dès les premières règles, ajoutant des épreuves inattendues au parcours déjà mouvementé de l’adolescence. Ce trouble, dont l’origine reste à préciser, peut entraîner des douleurs au niveau du bas du ventre parfois chroniques et, possiblement, une infertilité ainsi que d’autres symptômes tels que des troubles digestifs. À ce jour, les traitements proposés visent essentiellement à lutter contre les symptômes. Plusieurs approches sont utilisées, dont des options médicamenteuses (anti-inflammatoires non stéroïdiens, contraceptifs hormonaux…). Lorsque ceux-ci ne se montrent pas efficaces, un traitement chirurgical peut être préconisé.   Des lésions encore plus difficiles à identifier chez l’adolescente Bien souvent associée aux femmes adultes, l’endométriose est une réalité présente également chez les adolescentes, chez qui on déplore des cas évolutifs et parfois même sévères. Le diagnostic, quant à lui, intervient malheureusement bien plus tard avec un délai moyen d’environ 8 ans après l’apparition des premiers symptômes. Le diagnostic tardif peut résulter, en partie, des différences dans les manifestations de la maladie entre les adolescentes et les femmes adultes. En effet, les adolescentes atteintes d’endométriose présentent souvent des lésions d’apparence rouge ou claire, ce qui peut rendre leurs identifications difficiles par les professionnels de la santé, par rapport aux lésions chez les adultes dites « en poudre noire brûlée » (black powder burn) qui sont plus facilement observables, notamment par imagerie médicale. La petite taille des lésions chez les adolescentes peut aussi rendre leur détection compliquée. De plus, les jeunes femmes sont très rapidement mises sous pilule pour diminuer les symptômes. Quand ceux-ci s’atténuent, les professionnels de santé ne mènent pas forcément plus avant les examens et le diagnostic n’est pas posé. Mais s’il s’agit bien d’une endométriose, la maladie continue de progresser.   Un risque de détresse psychologique Concernant le traitement de la maladie chez l’adolescente, les options médicamenteuses à base d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et de contraceptifs hormonaux sont souvent privilégiées. Il est également indispensable d’intégrer une approche multidisciplinaire dans la prise en charge, incluant un accompagnement psychologique, qui est crucial lorsque l’on considère les multiples répercussions que peut avoir cette pathologie chez les femmes. En effet, ses conséquences sur le plan psychologique, social et éducatif sont indéniables, avec un risque accru de détresse psychologique et de troubles anxieux chez les jeunes femmes. Parfois, ces répercussions se traduisent par un taux élevé d’absentéisme scolaire, avec un impact négatif important sur la scolarité. Cependant, les conséquences de la maladie ne s’arrêtent pas là et entraînent une réduction des activités quotidiennes et la détérioration des relations sociales et intimes.   Des douleurs menstruelles parfois évocatrices de la maladie Quoiqu’elles ne soient pas forcément synonymes d’endométriose, les douleurs menstruelles peuvent être, dans certains cas, évocatrices de la maladie. Elles constituent le trouble gynécologique le plus répandu chez les adolescentes avec une prévalence pouvant aller de 34 % à 94 % selon la littérature scientifique. Tout comme l’endométriose, les douleurs menstruelles représentent un véritable défi pour les adolescentes. Elles peuvent entraîner une détresse psychologique avec une augmentation du risque de dépression et une limitation des activités quotidiennes.   Un ensemble de troubles peu reconnus même par l’entourage À cela s’ajoute un manque de soutien et de reconnaissance de la part de l’entourage et des services médicaux. C’est une difficulté supplémentaire à laquelle font face les adolescentes qui sont confrontées à des symptômes menstruels liés à des règles douloureuses et/ou à l’endométriose. Cela est dû en partie à un manque de connaissances autour des menstruations, des symptômes menstruels ainsi que de l’endométriose qui font l’objet de stigmatisations, de normalisations et d’attitudes négatives tant entre les adolescentes elles-mêmes que dans leur cercle familial, éducatif, amical.   Une méconnaissance aussi par les premières concernées et les médecins Une étude française, menée sur des femmes ayant eu un diagnostic d’endométriose, a mis en évidence une méconnaissance de la maladie par certaines d’entre elles, puisqu’elles étaient 35 % à estimer que leurs symptômes étaient normaux. Encore plus marquant, 60 % d’entre elles ont déclaré que leurs symptômes étaient qualifiés de « normaux » par des médecins. Ce phénomène de stigmatisation et de normalisation crée un environnement peu propice, laissant les adolescentes démunies face aux douleurs menstruelles et, dans certains cas, à l’endométriose. En conséquence, cela entraîne un délai supplémentaire dans l’identification de la maladie.   Développer l’éducation à la santé menstruelle Dans ce contexte, il devient impératif d’évaluer les besoins en matière d’éducation en lien avec l’endométriose et les douleurs menstruelles, afin d’améliorer la qualité de vie des adolescentes. Cette démarche vise non seulement à briser les idées reçues des adolescentes elles-mêmes mais aussi de leur entourage familial, scolaire, social, à améliorer la gestion des douleurs, mais également à favoriser un diagnostic précoce de la maladie. Malgré un effort croissant pour sensibiliser le public à ces questions, il existe aujourd’hui très peu d’interventions visant la prévention et l’éducation. Il paraît alors nécessaire de déployer des efforts significatifs pour relever les défis éducatifs liés à l’endométriose et, plus généralement, à la santé menstruelle des adolescentes.   Pour des approches non médicamenteuses basées sur la recherche Au-delà de l’aspect éducatif, il est impératif d’initier des recherches pour améliorer la compréhension des spécificités de la maladie chez ce public. Cela permettrait aussi d’orienter les actions de promotion de la santé, en encourageant les jeunes femmes à prendre un rôle actif dans leur bien-être. En ce sens, des approches non…

Littérature : pourquoi retraduisons-nous les classiques ?

Par Sarah Journée

Publié le 17 janvier 2024 Article aussi disponible en anglais ici Littérature : pourquoi retraduisons-nous les classiques ? Enrico Monti, Université de Haute-Alsace (UHA) Si vous parcourez les rayons d’une bibliothèque ou d’une librairie en quête des aventures de Gregor Samsa ou Jay Gatsby, vous pourrez être confrontés à un dilemme insoluble. Quelle version choisir de ces grands classiques de la littérature ? Dans une bibliothèque ou une librairie bien fournie, vous pourriez trouver jusqu’à sept traductions différentes des Métamorphoses ou de Gatsby le Magnifique. On ne parle pas ici d’éditions différentes, mais bel et bien de textes différents, de mots différents. D’ailleurs on pense – et on affirme – avoir lu Kafka ou Fitzgerald, alors que très souvent ceux qu’on a lus sont les mots de Vialatte, Lortholary, Lefebvre, Llona, Wolkenstein, Jaworski, pour ne citer que quelques traducteurs de ces deux chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Quelle traduction choisir, donc ? La plupart de nous se laisseront guider par les mêmes critères qui déterminent notre choix d’un classique francophone : l’affection pour une maison d’édition ou une collection, les paratextes, le prix, la couverture… Assez rarement par la renommée de ces invisibles de la littérature traduite que sont les traducteurs, acteurs silencieux d’une interprétation qu’on imagine impersonnelle et objective, et surtout pas cruciale. Et d’ailleurs, pourquoi tous ces traducteurs s’affolent-ils sur un seul et même texte ? Question légitime, compte tenu des innombrables textes qui attendent toujours leur traduction. Si la traduction a comme but primaire de rendre un texte intelligible à un public qui ne maîtrise pas la langue dans lequel il a été écrit, les retraductions sont clairement des opérations à très faible utilité. Et pourtant, très rares sont les Français qui s’approchent aujourd’hui de Dante, Cervantes ou Shakespeare dans une traduction française vieille ne serait-ce que de 100 ans, alors que les Italiens, les Espagnols et les Anglais continuent de lire leurs auteurs phares dans une langue vieille de plusieurs siècles (non sans le secours d’une pléthore de notes explicatives). Pourquoi ne cessons-nous de remettre les classiques étrangers au goût du jour ? Parce qu’un classique est un texte qu’on ne cesse jamais de retraduire, pourrait-on dire, inversant les termes de la question. Le phénomène de la retraduction est à la fois paradoxal et inhérent à toute culture. Un historien de la traduction, Michel Ballard, y a même vu une des constantes de l’histoire de la traduction, de toutes les époques.   Censure, imprécisions et vieillissement des traductions Les raisons sont évidemment multiples. Le plus souvent, le moteur est un sens d’insatisfaction avec les traductions existantes, qui peut avoir des origines différentes. Des formes de censure, par exemple, idéologique ou morale, qui ont privé les lecteurs de certains aspects d’un texte. Pas besoin de dictatures pour voir le texte dépouillé de certaines références ou expurgé d’une partie de la culture qui l’a produit. Dans d’autres cas, l’insatisfaction peut être liée à la présence de fautes et imprécisions, due à la faiblesse humaine ou à des ressources lexicographiques limitées : il suffit de penser à l’écart énorme entre les conditions de travail des traducteurs pré-Internet et nous, qui sommes à un simple clic d’une vérification qui pouvait demander des journées de recherche il y a trente ans seulement. Prenons une des supposées « erreurs » les plus fameuses de l’histoire de la traduction, à savoir les cornes sur la tête du Moïse de Michel-Ange (1515). Le sculpteur s’appuie sur la traduction latine de la Bible faite par Saint-Jérôme quelque 1 100 ans auparavant (longévité sans doute inégalable pour une traduction). Or, l’hébreu, langue consonantique, se passe de l’indication de voyelles générant dans le passage en question une ambiguïté entre keren (cornu) et karan (rayonnant). Si Jérôme interprète « cornu », et avec lui une grande partie de l’iconographie chrétienne des siècles à venir, toutes les traductions contemporaines de la Bible donnent à Moïse un visage « rayonnant », lorsqu’il reçoit les tables de la loi. Pour restituer au texte son ambiguïté éventuelle, il faudra attendre la traduction « intersémiotique » de Chagall, qui trouve dans un autre système de signes – la peinture – la possibilité d’attribuer à Moïse de véritables cornes de lumière. Une des raisons les plus souvent évoquées pour retraduire est que les traductions vieillissent. Quid des originaux ? Ils vieillissent eux aussi, mais différemment, nous dira-t-on. Ils gagnent du charme, alors que le vieillissement des traductions vire souvent au grotesque. La différence est à chercher essentiellement dans les statuts respectifs d’original et traduction : texte dérivé, la traduction ne peut pas exister sans le texte primaire dont elle est émanation et ce statut secondaire lui enlève l’autorité d’un vrai texte littéraire. Il y a aussi peut-être le fait, démontré par la linguistique de corpus, que les traductions tendent à être plus conservatrices du point de vue stylistique et donc à moins charger la langue de ce sens qui fait la richesse d’un chef-d’œuvre littéraire. L’impression de vieillissement peut aussi venir d’une meilleure connaissance de la culture cible, notamment par rapport à certains éléments culturels (realia) devenus monnaie courante : une note de bas de page pour expliquer ce qu’est le pop-corn, qu’on peut encore retrouver dans certaines traductions de l’après-guerre, serait non seulement inutile, mais décidément comique aujourd’hui. Parfois les retraductions amènent des changements macroscopiques, au niveau des titres, des noms des personnages ou de certains concepts, suscitant, à tort ou à raison, des réactions exacerbées, car déstabilisantes. Si la transformation de la novlangue en néoparler dans la retraduction de 1984 a fait parler les lecteurs et les critiques, certaines tentations divines peuvent être beaucoup plus déstabilisantes, comme le montrent les réactions suscitées par la réforme de la prière du Notre Père en 2013. La retraduction peut faire scandale, de par le relativisme qu’elle introduit dans l’interprétation d’un original que nous considérons comme immuable. En réalité, parfois c’est le texte même qu’on croyait « original » qui se découvre dérivé : c’est ainsi que la retraduction de Kafka pour la Pléiade récupère une nouvelle version du texte allemand, qui n’est pas celle héritée de Max Brod à laquelle l’histoire nous a habitués. Dans quelques cas encore, la…

Les universités françaises dans la tourmente budgétaire

Par Sarah Journée

Publié le 24 octobre 2023 Les universités françaises dans la tourmente budgétaire Marc Bollecker, Université de Haute-Alsace (UHA) Lors de la rentrée 2023, le président de l’Université de Strasbourg et de l’Udice (association qui regroupe 10 établissements), Michel Deneken, alertait sur les difficultés budgétaires dans pratiquement toutes les universités, qui « seront toutes en déficit d’ici un ou deux ans ». Plusieurs facteurs cumulatifs expliquent ces difficultés, qui ne sont certes pas nouvelles. Ils relèvent principalement de décisions de politiques publiques qui ont des impacts sur le budget des établissements. Or, ces difficultés risquent de s’aggraver en raison des 904 millions d’euros de coupes budgétaires annoncés début mars 2024 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.   De plus en plus d’étudiants Ces dernières années, le choix d’élever le niveau de qualification de la population (pour stimuler la croissance économique et consolider l’emploi) s’est traduit par l’objectif de porter à 50 % d’une classe d’âge le taux de diplômés de l’enseignement supérieur. Les universités françaises accueillent ainsi de plus en plus d’étudiants : 1 660 000 environ pour l’année universitaire 2022-2023, soit 271 000 supplémentaires en 10 ans. Cette augmentation conséquente des effectifs a engendré de nombreux coûts additionnels pour les établissements (augmentation du nombre d’heures de cours, d’intervenants, de salles, de la consommation de chauffage, etc.). La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (2007) a particulièrement impacté le budget des universités. Elle a consisté à poursuivre le mouvement de décentralisation engagé par l’État en transférant la gestion de la masse salariale (soit 60 à 70 % du budget jusqu’alors centralisé) aux établissements. Cette évolution vers davantage d’autonomie a conduit à une responsabilité accrue de chaque université, qui gère désormais une masse de coûts (fonctionnement, personnel, investissement) correspondant à l’ensemble de son activité.   Si une dotation annuelle de l’État (devenue « Subvention pour charge de service public », ou SCSP) équivalente aux montants transférés a accompagné cette autonomisation, elle s’est érodée au fil des années si on la rapporte au nombre d’étudiants. L’augmentation des salaires des personnels fonctionnaires, inhérente à leur ancienneté et à leur progression de carrière, n’a été que partiellement (voire pas du tout) compensée par l’État, tout comme l’augmentation du point d’indice décidée en 2022.   Le poids du parc immobilier Parmi les facteurs majeurs de tensions budgétaires, les coûts actuels et à venir de l’entretien du parc immobilier pèsent également lourdement sur la situation financière. Une étude de la Cour des comptes en 2022 sur l’immobilier universitaire révèle que 34 % des surfaces sont dans un état peu ou pas satisfaisant ; 9 % des établissements recevant du public ont reçu un avis défavorable de la commission de sécurité locale. Le coût de réhabilitation du patrimoine universitaire avoisinerait les 7 milliards d’euros (15 milliards pour France Universités, organisation qui rassemble les dirigeants des universités et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche), dont les trois quarts seraient en rapport avec la transition énergétique. Certes, l’État ou les collectivités territoriales interviennent (notamment au travers des dispositifs comme les Contrats de plan État-Région ou les Programmes d’investissements d’avenir). Cependant, les établissements doivent prendre en charge l’entretien du patrimoine (qui présente désormais le deuxième poste de dépenses après la masse salariale) ainsi que les fluides (gaz, électricité, eau) qui alourdissent les comptes dans un contexte de forte inflation. Par ailleurs, l’internationalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche a connu une forte accélération à partir des années 1990. Au-delà de la traditionnelle mobilité internationale des étudiants et des enseignants, encouragée notamment par le processus de Bologne en 1998, l’internationalisation des programmes de formation ainsi que la création de consortiums ou alliances internationales se sont considérablement intensifiées. Si ces alliances bénéficient de financements conséquents de la part de l’Union européenne, l’internationalisation requiert des financements élevés, de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros. Le recrutement de personnels complémentaires est également devenu indispensable pour déployer le management de la qualité et le contrôle dans les universités. La loi de programme pour la recherche de 2006 a officiellement lancé le management de la qualité dans les universités par la création de l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES, devenue le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, ou HCÉRES). Il s’inscrit dans un mouvement plus global de labellisation et de certifications (label Développement durable et Responsabilité sociétale ; label européen Human Resources Strategy for Researchers, etc.). Des moyens humains et des coûts additionnels ont là encore été nécessaires, tout comme pour la mise en œuvre des obligations légales prévues par la loi sur l’autonomie des universités de 2007 ou encore par le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique en 2012.   New Public Management Ces tensions budgétaires récurrentes ont conduit à la multiplication de rapports et travaux de recherche : beaucoup font le constat d’une inadéquation des financements actuels compte tenu des défis que les universités publiques françaises ont à relever. Si les financements complémentaires récents prévus dans le cadre de la loi Orientation et Réussite (2018) de la loi de Programmation de la Recherche (2020) ou des pôles universitaires d’innovation (prévus dans le cadre du plan « France 2030 ») viennent soutenir les activités des universités, ils s’inscrivent dans un temps limité. Si les montants engagés par l’État depuis 2010 dans le cadre des Programmes d’investissement d’avenir sont conséquents, ils ont créé une forte différenciation entre les établissements en capacité de répondre aux appels à projet et les autres. Dans certains cas, ils sont en effet conditionnés aux regroupements entre les universités (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, communautés d’universités et établissements, établissement public expérimental) et à leur maintien. Plusieurs pistes sont évoquées pour transformer le financement des universités. Dans un rapport de 2019, le sénateur Philippe Adnot propose que les établissements développent leurs ressources propres pour limiter leur dépendance à l’État : une augmentation raisonnée des frais d’inscription des étudiants français et étrangers, le développement de la formation pour adultes et de l’alternance, la création de nouvelles fondations universitaires, la valorisation du patrimoine immobilier. Comme d’autres, il préconise la mise en place de contrats d’objectifs,…

Comment sortir l’action publique d’une logique strictement financière ?

Par Sarah Journée

Publié le 5 septembre 2023 Comment sortir l’action publique d’une logique strictement financière ? Marc Bollecker, Université de Haute-Alsace (UHA) et Angèle Renaud, IAE Dijon – Université de Bourgogne Le dernier remaniement ministériel du 20 juillet 2023 a donné lieu à son lot traditionnel de discours de passation de pouvoir, dont ceux, à Bercy, de Gabriel Attal, en partance pour l’Éducation nationale, et de son successeur Thomas Cazenave à la fonction de ministre délégué chargé des comptes publics. Ce passage de relais s’est voulu inscrit dans la continuité. Le nouveau ministre a ainsi déclaré vouloir poursuivre le travail de désendettement de son prédécesseur : « Le redressement des finances publiques et le retour du déficit sous la barre des 3 % d’ici 2027 sont nos priorités. » Jusqu’à présent, la transformation de l’action publique en France a surtout été guidée par les principes d’un New Public Management dont on peut douter de son caractère novateur (déployé au milieu des années 1980 dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande). Fondé sur les pratiques du secteur privé (notamment des industries automobile comme General Motors et chimique comme Dupont de Nemours), il promeut davantage de discipline dans l’utilisation des ressources financières, une intensification de la concurrence public/privé et public/public, la fragmentation des structures publiques en unités évaluables ainsi qu’une grande attention portée à la définition d’objectifs et aux résultats.   Logique d’économies Pour mettre en application ces principes, l’État français a notamment déployé des dispositifs de contrôle de gestion dans l’ensemble de la fonction publique (hôpitaux, lycées, universités, collectivités territoriales, ministères de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur, de la Culture, etc.) : découpage de l’ensemble de l’administration en centres de responsabilité, mise en place de nombreux systèmes de calcul des coûts, création d’un nombre incommensurable d’indicateurs, développement de systèmes de reporting et quasi-généralisation du « benchmarking » (comparaison des différents acteurs). L’orientation financière donnée à ces dispositifs a incité les décideurs publics français à voir la transformation de l’action publique davantage sous l’angle des économies budgétaires que sous celui de l’efficacité du service public. Si le redressement des finances publiques et le retour du déficit sous la barre des 3 % restent les priorités de Bercy, il faut espérer que les dispositifs employés pour transformer l’action publique ne détournent pas davantage les décideurs publics de leurs missions et priorités originelles : être au service du patient, de l’élève, de l’étudiant, du citoyen… En effet, l’action publique guidée par l’intérêt général et le bien commun différencient fondamentalement les organisations publiques de celles du privé. Un collectif de 21 praticiens de structures publiques et d’universitaires français, belges et canadiens s’est penché sur cette question dans un ouvrage paru en 2023 : « Repenser le management des organisations publiques sous le prisme du contrôle de gestion » (Éditions Vuibert). Il ressort de ces fructueuses réflexions et nombreux points de vue que, si les décideurs publics continuent à mobiliser des dispositifs de contrôle, les réduire à leur seule dimension financière (efficience et économie du New Public Management) constitue un écueil majeur à éviter.   Logiques hybrides La conception la plus répandue du contrôle de gestion dans le monde (y compris dans le secteur marchand) s’inscrit en effet dans une visée plus ambitieuse : assurer que les ressources sont allouées et utilisées avec efficacité et efficience pour la réalisation des objectifs organisationnels. Il s’agit donc de l’utilisation de ces dispositifs de contrôle par les décideurs publics en priorité pour les guider dans la réalisation de leur mission originelle : servir l’intérêt général dans le respect des biens communs. Dans cette perspective, le contrôle de gestion devrait favoriser une lecture « hybride » de l’action collective s’il ne s’enferme pas dans une logique financière. Il est porteur d’une diversité de logiques qui font la performance publique. En particulier, ce contrôle de gestion « hybride » peut déployer des objectifs multidimensionnels hiérarchisés et non seulement budgétaires ; adapter des instruments de gestion issus du secteur privé aux singularités de chacune des organisations publiques qui les utilisent ; de mobiliser ces dispositifs non seulement à des fins de vérification de la mise en œuvre des politiques publiques mais aussi de changement de long terme en encourageant les initiatives individuelles des agents. Par exemple, une ville de l’ouest de la France de 140 000 habitants, associée à une communauté d’agglomération de 30 communes, s’est engagée dans la révision de ses politiques publiques. Pour définir les grandes orientations, la ville s’est appuyée conjointement sur un contrôle de gestion à orientation diagnostique et un contrôle de gestion à orientation interactive formalisé par le spécialiste américain en sciences du management Robert Simons en 1994. Le premier visait la formalisation de contrats d’objectifs multidimensionnels entre la direction générale et les différents services, ainsi que l’animation du suivi des actions proposées et retenues par les élus. Le second était focalisé sur des réunions de dialogue de gestion regroupant les cadres et les employés pour décider des améliorations à apporter aux grandes orientations. Ces logiques hybrides visent à limiter le risque de myopie des décideurs publics, c’est-à-dire celui d’une focalisation excessive sur des questions budgétaires. Penser le contrôle de gestion publique sous l’angle de l’hybridité constitue donc bien le corollaire de la recherche de l’intérêt général qui s’inscrit, par définition, dans une vision multidimensionnelle de l’action publique. Penser le contrôle de gestion publique suppose d’impliquer les acteurs – élus, agents, usagers – dans un dialogue constructif qui vise à traiter les divergences inhérentes à cette vision, c’est-à-dire de s’appuyer sur les fondements de la démocratie.   Marc Bollecker, Professeur des universités en sciences de gestion, Université de Haute-Alsace (UHA) et Angèle Renaud, Professeure des universités, Directrice du CREGO, IAE Dijon – Université de Bourgogne   Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Marc Bollecker Professeur des universités en sciences de gestion (FSESJ & CREGO) Sur le même thème Tous |Article |Non classé |Podcast |Question |Recherche participative |Vidéo Veolia-Suez : la réussite de l’acquisition dépendra aussi des mécanismes de contrôle mis en place 12 octobre 2020/ Publié le 12 octobre 2020 Veolia-Suez : la réussite…

« L’envers des mots » : Agnotologie

Par Sarah Journée

Publié le 25 juin 2023 « L’envers des mots » : Agnotologie Marie Meyer, Université de Haute-Alsace (UHA) et Dominique Kern, Université de Haute-Alsace (UHA) Les sciences occidentales ont peu appréhendé la question de l’ignorance malgré le fait que, selon les mots de Karl Popper, « notre connaissance ne peut être que finie, tandis que notre ignorance est nécessairement infinie », avec d’importantes conséquences sur nos vies. C’est ce qu’observe Robert N. Proctor en introduction d’un ouvrage collectif sur l’agnotologie publié en 2008. Cet historien des sciences de l’Université de Stanford a œuvré à combler cette lacune. Il propose alors le terme « agnotologie », du grec agnôsis (« ne pas savoir »), qui renvoie à l’étude de l’ignorance et de sa « production ». Ce concept profite alors d’un intérêt croissant dans les sciences humaines et sociales et certains auteurs évoquent même une véritable science de l’ignorance, permettant de théoriser la rupture avec les certitudes et la production de savoirs inconnus. Cette ignorance peut avoir différentes origines. Tout d’abord, il y a des facteurs dont le chercheur n’a pas connaissance, même vis-à-vis de sa propre thématique de recherche. Ensuite, ces mêmes facteurs peuvent ne pas avoir été, ou ne pas être, exploités au cours du processus et des faits scientifiques peuvent tout à fait être ignorés comme ajoutés a posteriori. Enfin, il est important de souligner que toutes les méthodes de recherche présentent leurs propres limites. De ce fait, les études et même les productions validées peuvent parfois faire l’objet de réévaluations ultérieures et être réinterrogées par les spécialistes. À l’inverse, il se peut qu’un chercheur travaille toute sa carrière sur une même thématique pour, finalement, remettre l’ensemble de ses réflexions en question ou ouvrir ses travaux sur des zones inexpliquées, voire inexplicables. Dès lors, il s’agit du savoir qui « est rendu inutilisable et ne peut plus servir de prémisse à des décisions ou à d’autres enquêtes ». Du point de vue scientifique, pour le chercheur l’agnotologie constitue un exercice difficile et peu répandu : il est plus complexe pour un spécialiste de présenter et de décrire ce qu’il ignore que de traiter d’un savoir qu’il maîtrise. Paradoxalement, cette science se matérialise régulièrement et sous différentes formes dans le domaine de la recherche avec de nouveaux savoirs qui sont produits et qui viennent se substituer aux plus anciens ou encore de nouveaux écrits scientifiques qui viennent remettre en question, voir rendre obsolètes, leurs prédécesseurs. Ainsi, l’incorporation de ce concept dans une réflexion permet d’apporter un regard nouveau sur les connaissances produites ou analysées dans une recherche scientifique, pareil à une « antiépistémologie ». Là où l’épistémologie permet de réaffirmer ou encore de construire de nouveaux savoirs, l’antiépistémologie « demande comment la connaissance peut être recouverte et obscurcie », questionnement nécessaire dans toute théorisation et/ou production de savoirs savants. Mais l’ignorance analyse les connaissances dans une double dimension : qu’est-ce que nous ne savons pas ? Pourquoi n’avons-nous pas accès à ces connaissances ? Ce doute et la remise en question des connaissances générés par l’agnotologie permettent de (re) lancer les dialogues et de modifier des comportements. En effet, si pour le chercheur inclure l’agnotologie revient à interroger les zones d’ombres de son travail, ce qui relève donc d’une approche « honnête » à l’égard de ses réflexions et productions, cette démarche se retrouve également au quotidien. Un exemple parlant est celui de la désinformation. En plus des sources possibles d’agnotologie, citées précédemment, il se peut que l’absence d’information soit intentionnelle. Cette rétention de connaissance se retrouve d’ailleurs dans plusieurs domaines comme, par exemple, l’industrie du tabac. De nombreuses compagnies ont financé des études dans le but de prouver l’influence d’autres facteurs que celui de la cigarette sur la santé des individus. Il ne s’agit donc pas ouvertement d’un mensonge mais bien de recherches permettant de détourner l’attention avec l’idée d’influencer la population : on parle alors d’ignorance stratégique. De plus, la désinformation s’est modifiée avec le développement des réseaux sociaux où chaque individu peut librement partager ses connaissances ou idées sur les thématiques de son choix. Mathias Girel évoque alors plusieurs termes permettant de nuancer les situations rencontrées sur ces plates-formes entre la « mésinformation », pour évoquer les fausses informations non intentionnelles et la « malinformation » pour les fausses informations ayant pour objectif de nuire volontairement à autrui. Dans tous les cas, l’agnotologie rappelle la nécessité de conserver une attitude critique et une posture d’acteur vis-à-vis des informations qui nous parviennent. La première étape reste de vérifier les sources, dont la légitimité de l’auteur à traiter de la thématique abordée. Également, l’ignorance omniprésente, en raison des différentes modalités que nous avons évoquées, permet de garder à l’esprit que des zones d’ombres demeurent dans les échanges que nous entretenons au cours d’une journée ainsi que dans les travaux de recherche auxquels nous pouvons nous intéresser. Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?   Marie Meyer, Doctorante en Sciences de l’éducation et de la formation, Université de Haute-Alsace (UHA) et Dominique Kern, Professeur des Universités, PhD Sciences de l’éducation et de la formation, Université de Haute-Alsace (UHA)   Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Marie Meyer Doctorante en sciences de l’éducation et de la formation (LISEC) Dominique Kern Professeur des Universités en sciences de l’éducation et de la formation (FLSH & LISEC) Sur le même thème Tous |Article |Non classé |Podcast |Question |Recherche participative |Vidéo Pour un enseignement de qualité des langues à l’université (3) 17 février 2016/ Publié le 17 février 2016 Pour un enseignement de qualité des langues à l’université (3) Marielle Silhouette, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières;… Article Avis de Recherche N°4 – 150 ans de la Société Française de Physique 8 novembre 2023/ Publié le 8 novembre 2023 Avis…