Auteur/autrice : Sarah Journée

Pourquoi si peu de transparence concernant les pesticides ?

Par Sarah Journée

Publié le 29 janvier 2025 Pourquoi si peu de transparence concernant les pesticides ? Elisabeth Lambert, Nantes Université; Karine Favro, Université de Haute-Alsace (UHA) et Quentin Chancé, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) La moitié des fruits cultivés en France comporte au moins un pesticide potentiellement dangereux. Derrière les enjeux de transparence sur ces produits et leur utilisation, on retrouve des obstacles de nature légale, administrative, technique et sociale. Des voies d’amélioration sont toutefois possibles, du champ jusqu’à l’assiette, pour le riverain d’exploitation agricole comme pour le consommateur. La moitié des fruits et le quart des légumes cultivés en France conservent, lorsqu’ils sont consommés, au moins un pesticide cancérigène, ou bien susceptible de provoquer des mutations de l’ADN, ou encore d’affecter la reproduction. Une réalité qui préoccupe, d’où la demande de plus de transparence. Pourquoi est-ce important ? Tout d’abord, car la transparence permet de garantir la responsabilité des acteurs en cas d’atteintes à la santé et à l’environnement ; ensuite, car elle favorise la confiance du public à l’égard des autorités régulatrices et des entreprises agricoles en démontrant leur engagement envers la sécurité et la durabilité. Enfin, la transparence facilite la surveillance et l’évaluation des risques, en permettant aux chercheurs et aux experts de disposer de données fiables et accessibles pour étudier leurs effets à long terme. Mais entre la théorie et la pratique, on trouve un monde, des obstacles de nature légale, administrative, informatique, ainsi que des barrières techniques, politiques et sociétales, et des questionnements sur la façon de rendre une information pertinente et claire. Malgré tout cela, plus de transparence est encore possible, et ce, du champ jusqu’à l’assiette, pour le riverain d’exploitation agricole comme pour le consommateur. Voici comment.   Informer le grand public des usages des pesticides Les questionnements autour des pesticides débutent souvent lors de leur épandage par un agriculteur. Aujourd’hui, le partage des informations disponibles à ce sujet reste très laborieux : lors d’une commission d’enquête sur les « plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale » en 2023, le député PS Dominique Potier qualifiait la recherche d’information d’« ubuesque ». Les limites sont ici avant tout réglementaires et techniques. En effet, les agriculteurs doivent répertorier, depuis 2009, leurs usages de pesticides (produits, quantités, sites d’épandage) dans des « cahiers de culture », mais ces derniers ne sont accessibles et mobilisables par les pouvoirs publics qu’en cas de contrôle (5 % à 7 % des fermes par an). Le 14 janvier 2025, le premier ministre souhaitait malgré tout voir réduire ce nombre. Un Règlement européen d’exécution du 10 mars 2023 pourrait cependant aider à plus de transparence, puisqu’il imposera l’obligation, en 2026, de numériser et harmoniser ces registres afin de faciliter la connaissance scientifique en matière de santé environnementale. Cette question de l’harmonisation est loin d’être anodine, car, en pratique, les filières agricoles disposent déjà de registres d’usage de pesticides via les systèmes de traçabilité internes des coopératives, des groupements industriels et de producteurs, lesquels rassemblent le contenu des cahiers de cultures. Mais détenues par de multiples acteurs via des logiciels différents, ces bases de données ne sont pas « informatiquement » compatibles entre elles. Un travail technique de mise en équivalence doit donc être réalisé si l’on veut les réunir et former une base de données publique. Ce virage n’est toutefois pas impossible, comme l’ont montré les pouvoirs publics danois et slovaques, qui ont permis aux agriculteurs de rentrer leurs données en ligne sur une plate-forme gratuite gérée par l’État, sans avoir à débourser d’argent pour exploiter un logiciel privé ; cela faciliterait la collecte publique de ces informations, sans opérer de contrôle sur place, et leur traitement. Ce changement pourrait également rendre les agriculteurs sereins, avec des contrôles qui pourraient, dès lors, être plus transparents, se faisant au fil de l’eau par collecte des données numériques. En outre, depuis 2022, les données relatives aux pesticides, sont entrées dans le Régime européen spécifique pour les données d’intérêt général (RGPD, qu’on nomme « régime de l’altruisme »), ce qui pourrait également en accélérer la mise à disposition pour tous les publics concernés et enlever les feins liés à la disponibilité des données. Mais qu’en est-il des informations sur les moments et lieux précis d’épandage des pesticides ?   L’information des riverains sur les épandages de pesticides Actuellement, une des populations les plus demandeuses de transparence restent les riverains, soucieux de leur santé. Si, sur le plan médiatique, les personnes qui s’inquiétent de ces questions sont souvent perçues comme des militants politiques, le père d’un enfant gravement malade, vivant dans la région de La Rochelle, où l’on soupçonne un cluster de cancers pédiatriques lié à l’épandage des pesticides, résumait ainsi son engagement initial : « On n’était pas des militants actifs, mais des parents d’élève. » Informer les riverains leur donnerait la possibilité de se protéger en partie des retombées des épandages. Mais, ici aussi, avoir des informations claires et précises à l’échelle des parcelles reste laborieux. Tenter de modifier cela, s’est d’ailleurs transformé en un feuilleton normatif et judiciaire qui dure depuis cinq ans. Certains territoires (comme le Limousin pour la pomme, et l’Isère pour la noix) avaient à l’époque commencé à mettre en œuvre des initiatives concertées d’information des riverains, par SMS ou par l’intermédiaire d’applications numériques, la veille des traitements. Mais l’obligation faite par l’État en 2019 d’utiliser des chartes réglementaires (des textes obligatoires listant les engagements des applicateurs de pesticides et rappelant les enjeux liés aux épandages), pour fournir ces informations, a provoqué une crispation des agriculteurs et un recul de pratiques initiées localement et/ou par filières. Après cela, les chartes élaborées de 2020 à 2023 n’ont exigé qu’une nécessité d’information au moment de l’épandage (souvent par allumage du gyrophare du tracteur au moment du traitement et via par exemple l’affichage des calendriers de traitements prévisibles sur les sites des chambres d’agriculture). Mais ces chartes ont été considérées comme contraires à la réglementation en janvier par le tribunal administratif d’Orléans, puis, en novembre 2024, par la cour administrative d’appel de Versailles, au motif que l’information n’est pas préalable au traitement et pas suffisamment individualisée,…

Comment les robots perçoivent-ils le monde ?

Par Sarah Journée

Publié le 13 janvier 2025 Comment les robots perçoivent-ils le monde ? Stéphane Bazeille, Université de Haute-Alsace (UHA) Pour percevoir son environnement, il faut non seulement pouvoir le capter, mais aussi interpréter les données de façon judicieuse — ceci reste un défi pour les robots. Les robots destinés au grand public sont de plus en plus présents dans notre quotidien, mais ils restent aujourd’hui assez proches de plates-formes à roues ou volantes (aspirateurs, tondeuses, drones par exemple). L’industrie est équipée de bras spécialisés, pour l’assemblage et la manutention. Ces robots industriels et du quotidien ont un point commun : ils disposent de peu de capteurs leur permettant de percevoir le monde. Ceci les rend plus simples à gérer, mais limite grandement leurs capacités. On observe néanmoins depuis quelques années l’émergence de robots beaucoup plus complexes. Les robots humanoïdes, comme ceux de Boston Dynamics ou plus récemment Tesla, en sont les exemples les plus frappants. Ces robots plus perfectionnés restent aujourd’hui des robots de recherche : ils peuvent faire beaucoup plus de choses, mais leur programmation nécessite beaucoup plus de capteurs, comme c’est le cas d’Atlas, le robot de Boston Dynamics, sur cette vidéo. Atlas, le robot de Boston Dynamics, sait utiliser ses mains de façon autonome. Source : Boston Dynamics.   Si leurs capacités mécaniques sont de plus en plus spectaculaires, la difficulté principale aujourd’hui est de donner aux robots des capacités de perception pour pouvoir interagir facilement avec leur environnement. En effet, c’est bien notre perception de l’environnement qui nous permet, à nous, humains, de reconnaître et de localiser des objets pour les attraper, d’estimer leurs trajectoires pour anticiper leurs positions, de nous déplacer d’un point à un autre en évitant les obstacles par exemple. La perception peut aujourd’hui être basée sur différents capteurs qui mesurent différentes grandeurs physiques telles que le flux lumineux, la distance, les accélérations ou les rotations. Chez les humains, l’oreille interne perçoit la position et l’orientation de la tête et permet de se maintenir en équilibre, tandis que les drones ou les robots humanoïdes maintiennent leur équilibre en mesurant les accélérations et vitesses de rotation de leur corps, mesurées à très haute fréquence grâce à une centrale inertielle. Les aspirateurs quant à eux évitent les obstacles grâce à des capteurs de distance qui leur permettent de construire des cartes de leur environnement. Toutes ces tâches (équilibre, localisation, analyse de l’environnement) sont primordiales pour améliorer l’autonomie des robots, mais équiper un robot d’un système de perception est un travail considérable : il faut acquérir les données, les traiter, et prendre une décision sur le comportement du robot en fonction de ces informations.   Des yeux au cerveau, des caméras à l’ordinateur embarqué Chaque capteur restitue à l’ordinateur embarqué une information de plus ou moins « haut niveau », c’est-à-dire nécessitant plus ou moins de traitement par la suite pour en extraire du sens. Les capteurs les plus riches, mais aussi les plus complexes à utiliser, sont ceux développés pour la vision. L’homme a un système visuel très développé et entraîné depuis la petite enfance pour reconnaître, localiser, mesurer, estimer les mouvements : notre œil fournit une image brute, mais notre cerveau sait l’interpréter. De façon similaire, les données encodant les images des caméras traditionnelles sont de très « bas niveau » : une caméra enregistre simplement une liste ordonnée de pixels qui correspondent à la quantité de lumière reçue sur un petit élément de surface photosensible du capteur, auquel s’ajoute potentiellement une information sur la couleur (longueur d’onde) — comme notre œil. Pour comparaison, une information de « haut niveau » simple et utilisable par un robot serait par exemple : « Il y a un objet blanc sur la table et il est situé à une distance de 100 millimètres en x et 20 millimètres en y du coin de la table. » Fournir ce type d’informations à un robot en temps réel est possible aujourd’hui avec les capacités de traitement des ordinateurs. Si on prend l’exemple des bras robotiques industriels, ils sont aujourd’hui vendus sans système de perception et ne peuvent attraper des objets qui si leurs positions et orientations ont été données au robot lors de la programmation. Pour être capable d’attraper des objets, quelle que soit la manière dont ils sont disposés, il faut donner la possibilité au robot de voir l’objet. C’est possible aujourd’hui grâce à des caméras « intelligentes », c’est-à-dire qui embarquent un ordinateur et des librairies de traitement d’images pour transmettre aux robots des informations directement exploitables. Ainsi équipé, le robot peut attraper un objet, mais, cette fois-ci, quelle que soit la manière dont il est disposé. Démonstration de prise de pièce localisée par la vision avec un robot industriel. Source : IUT de Mulhouse.  Permettre aux robots de voir en 3D Un autre défi pour les robots est de se déplacer dans un environnement changeant. Dans une foule par exemple, les humains estiment en permanence leurs déplacements et construisent une carte des alentours pour déterminer les zones libres et les zones occupées afin d’estimer une trajectoire menant à leur destination. Sur un robot, avec seulement une caméra monoculaire, faire de la localisation et cartographie simultanée est un problème très complexe. Et le résultat obtenu est un résultat approximatif car on a un problème d’« ambiguïté d’échelle », c’est-à-dire que les mouvements sont bien estimés, mais les distances sont justes à un facteur d’échelle près. Pour lever cette ambiguïté d’échelle, il faut du « multi-vues » — deux yeux dans notre cas, ou deux caméras. Intégrer deux yeux sur un robot est délicat car avec deux capteurs, il y a deux fois plus d’informations à traiter, à synchroniser et à calibrer pour obtenir la position précise d’une caméra par rapport à autre. Grâce à l’évolution des capteurs de vision, on peut aujourd’hui voir en 3D avec une seule caméra light-field. Ces caméras sont un peu spéciales : en utilisant une matrice de micro-objectifs située entre le capteur et l’objectif, elles captent l’intensité lumineuse d’une scène comme sur un appareil classique, mais aussi la direction d’arrivée des rayons lumineux. Ceci permet en particulier de retrouver la profondeur, donc la 3D, avec une…

Sur smartphone, la vogue du microlearning : que penser de ces formations ultra-courtes ?

Par Sarah Journée

Publié le 28 novembre 2024 Sur smartphone, la vogue du microlearning : que penser de ces formations ultra-courtes ? Emmanuel Burguete, Université de Haute-Alsace (UHA) et Régis Forgione, Université de Strasbourg En découpant les savoirs en petites unités de formation, ils deviendraient plus faciles à apprendre, notamment sur un smartphone. De quoi permettre à chacun de se former selon ses besoins partout où il le souhaite et à tout moment. Ainsi, de multiples entreprises ou structures de formation vantent les atouts du « microlearning ». Mais est-ce une démarche à adopter dans tous les cas ? Si vous avez déjà suivi des formations en ligne, comme celles sur smartphone dédiées à l’apprentissage des langues, vous avez probablement déjà croisé le terme de « microlearning ». De nombreuses applications l’utilisent comme un argument commercial pour vanter les atouts pédagogiques de parcours conçus autour d’un ensemble de sessions courtes, rendant plus flexible l’apprentissage. Cependant, au-delà de ces discours, les caractéristiques précises de ce qu’on appelle microlearning et ses effets réels sur les apprentissages restent flous. Explorons ce concept, en nous appuyant sur des études scientifiques, afin de comprendre son intérêt, les promesses qu’il véhicule, mais aussi ses limites.   Le microlearning : un concept récent, encore difficile à définir Selon le chercheur autrichien Theo Hug, le terme microlearning a émergé au début des années 2000, avec l’essor des technologies de l’information et de la communication. Progressivement, ce concept serait devenu « incontournable » pour les formateurs de l’industrie de la formation en ligne. Malgré cette popularité, le microlearning ne suscite encore qu’un intérêt limité de la part des chercheurs. Cela se reflète principalement dans le faible nombre de publications répertoriées dans des bases de données internationales. Néanmoins, des analyse approfondies des articles de recherche existants soulignent une efficacité avérée du microlearning du point de vue de la compréhension, de l’engagement, de la motivation et de la performance d’apprentissage. Les auteurs indiquent que le microlearning est souvent utilisé pour réduire la charge cognitive des apprenants avec une diffusion du contenu par petites touches ou « unités », « juste au bon moment » (« just in time ») ou encore « à la demande » (« on-demand resources »). Ils rajoutent que l’apprentissage sur des smartphones et des tablettes – encore appelé « mobile learning » – permet de se former à tout moment et en tout lieu. Et, enfin, que le « social learning » ou apprentissage social est aussi une façon de se former en microlearning à partir d’interactions souvent informelles entre pairs sur les réseaux sociaux. Bien que la vidéo soit le média le plus largement utilisé dans le cadre du microlearning, les infographies ou d’autres documents visuels sont aussi reconnus comme de puissants moyens d’apprentissage. Parmi les formats possibles, on peut citer l’envoi d’un simple SMS, des jeux sérieux, un système de GPS interactif, des exercices basés sur des quiz, etc. Par ailleurs, des activités en microlearning peuvent tout à fait s’intégrer et se rencontrer sans outil technologique, dans des situations scolaires quotidiennes d’enseignement, au primaire, dans le secondaire ou le supérieur. Néanmoins, le microlearning n’est pas la panacée et il ne faut pas déduire de ces études qu’il est efficace en toutes circonstances. Les situations où les résultats sont mitigés existent mais elles ne figurent généralement pas en grand nombre dans la littérature. C’est ce que l’on appelle le « biais de publication » où ce sont plutôt les résultats favorables qui apparaissent plutôt que les défavorables. Cet état de fait doit amener l’utilisateur à être vigilant quant aux arguments avancés par les concepteurs de formations. Pour cela, il est important de comprendre plus en détail ce que l’on entend par microlearning avec un point de vue éclairé par la recherche.   Des expériences éducatives perçues comme courtes La promesse de gain de temps est un des premiers arguments rencontrés lorsque l’on parle de microlearning. Cependant, la brièveté censée le caractériser apparaît rapidement comme une difficulté majeure lorsqu’on tente de la définir. Pour exemple, si vous vous posez la question de savoir si une minute est une durée courte ou longue, il est très probable que vous choisissiez la première proposition. Cependant, ce choix aurait pris une tout autre dimension si vous aviez eu l’un de vos doigts coincés dans une porte pendant cette même durée. De la sorte, dire qu’une formation en microlearning est courte parce qu’elle dure 1 minute, 2 minutes ou 5 minutes ne fait pas sens, puisque cela dépendra des besoins effectifs de l’apprenant et du contexte de la formation. Pour cette raison, Theo Hug faisait remarquer il y a déjà 20 ans que la durée d’une formation en microlearning pouvait largement varier de « moins d’une seconde à plus d’une heure ». Cela fait donc largement relativiser le « gain » de temps supposé du microlearning. En ce qui concerne une éventuelle garantie de meilleure acquisition de connaissances ou de compétences par le microlearning, un point de vigilance concerne la conception des formations. Pour cela, Carla Torgerson propose une nouvelle définition en excluant, comme le chercheur Theo Hug, toute notion précise de durée qui ne présente au final que peu de sens. Pour elle, le microlearning est avant tout une « expérience éducative qui est ciblée, courte et efficace ». Ainsi, toute « expérience éducative », qu’elle soit d’ordre formel, non formel ou informel, serait utile à l’apprenant, à condition qu’il ait validé sur un temps adapté des objectifs pédagogiques (cible de l’apprentissage) et donc acquis des connaissances ou des compétences (efficacité de l’apprentissage).   Le microlearning : un bon argument commercial ? Si le microlearning peut être considéré comme une stratégie efficace pour enseigner et pour apprendre, des précautions doivent être prises pour garantir son efficacité, notamment en ce qui concerne la conception des formations et la définition d’objectifs pédagogiques. En effet, sans une solide ingénierie pédagogique par les concepteurs pour structurer et planifier les formations, il est difficile, comme le souligne Carla Torgerson, d’affirmer qu’elles seront suffisamment ciblées pour être pédagogiquement efficaces et perçues comme courtes par l’apprenant. Face à toute formation se pose donc un certain nombre de questions pour l’apprenant : en quoi chaque unité de formation répond-elle à mes besoins ? Ai-je acquis de nouvelles compétences ou connaissances ? L’articulation…

Chroniques juives de la première croisade : une lecture contemporaine.

Par Sarah Journée

Publié le 10 novembre 2024 Chroniques juives de la première croisade : une lecture contemporaine. Aude-Marie Certin et René Gutman ©Radio France – DR   En 1096, une croisade lancée par le pape Urbain II passe par la vallée du Rhin, massacrant sur son passage de nombreux juifs à qui ils veulent imposer leur religion.   Un manuscrit relatant ces écrits est disponible à la Bibliothèque Nationale et Universitaire (BNU) de Strasbourg. Les deux invités du podcast Talmudiques proposent une lecture moderne de ce texte dans cette émission, ainsi que dans leur livre « Le baptême ou la mort – Les massacres des juifs dans l’espace rhénan, à partir de chroniques hébraïques sur les croisades (XIe-XIIe siècles)« , disponible pour emprunt au Learning Center ici.   Les invité·es : Aude-Marie Certin est maîtresse de conférence en histoire médiévale à l’UHA et chercheuse au Centre de Recherche sur les Economies, les Sociétés, les Arts et les Techniques (CRESAT).  René Gutman est ancien grand-rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin et Docteur en sciences religieuses de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.   Écoutez le podcast : Pour plus d’information, rendez-vous sur le site : France Culture Aude-Marie Certin Maîtresse de conférence en histoire médiévale (FSESJ & CRESAT) Sur le même thème Tous |Article |Non classé |Podcast |Question |Recherche participative |Vidéo Les Etats généraux de l’Antiquité, deuxième édition 7 juin 2018/ Publié le 7 juin 2018 Les Etats généraux de l’Antiquité, deuxième édition Détail de la fresque de l’oiseau bleu, retrouvée… Podcast Les fleurs retrouvées de Lily Ebstein 21 août 2018/ Publié le 21 août 2018 Les fleurs retrouvées de Lily Ebstein Lily Ebstein   Le 9 juin 2017, une rue… Podcast Léon Blum, une vie héroïque – Les Mariés de Buchenwald 19 novembre 2023/ Publié le 19 novembre 2023 Léon Blum, une vie héroïque : Les Mariés de Buchenwald Visuel Podcast “Léon Blum, une… Podcast

L’anthropocène, un objet frontière qui signifie plus qu’une tranche de temps géologique

Par Sarah Journée

Publié le 28 octobre 2024 L’anthropocène, un objet frontière qui signifie plus qu’une tranche de temps géologique Luc Aquilina, Université de Rennes 1 – Université de Rennes; Catherine Jeandel, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Clément Poirier, Université de Caen Normandie; Clément Roques, Université de Neuchâtel; Jacques Grinevald, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID); Jan Zalasiewicz, University of Leicester; Jérôme Gaillardet, Institut de physique du globe de Paris (IPGP); Martin J. Head, Brock University; Michel Magny, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP); Nathanaël Wallenhorst, Université de Haute-Alsace (UHA) et Simon Turner, UCL Même si le groupe de travail de la Commission internationale de stratigraphie a refusé la proposition de créer une nouvelle période géologique nommée anthropocène, le débat n’est pas clos pour autant. Le concept reste précieux pour décrire notre époque, et permet de fédérer des communautés scientifiques distinctes. Les géologues découpent l’histoire de la Terre en « tranches de temps » chronologiques qu’on appelle la « chronostratigraphie ». Depuis 20 ans, l’observation de l’impact des activités humaines sur le système Terre a conduit à penser que nous étions entrés dans une nouvelle époque géologique : l’anthropocène. La définition de cette dernière a fait l’objet d’un groupe de travail créé au sein de la Commission internationale de stratigraphie (CIS), l’instance qui décide de la chronologie géologique. La proposition du groupe de travail de créer une nouvelle époque à partir de 1952 a été refusée par la CIS le 5 mars 2024. Nous ne reprendrons pas ici le détail des arguments techniques sur lesquels se base ce refus. Ils ont été contrés un à un, par le groupe de travail sur l’anthropocène, puis par des chercheurs extérieurs – et cela à plusieurs reprises. Notre question est : le débat est-il clos ? La réponse que viennent d’apporter plus de 50 scientifiques dans la revue Nature est : non !   Un concept qui fédère les différentes communautés scientifiques Au-delà de la communauté stratigraphique, le concept d’anthropocène est reconnu par plusieurs communautés. Il est couramment repris par l’ensemble des scientifiques qui travaillent sur le « système Terre » (géologues, climatologues, hydrologues, écologues, pédologues…). Il est devenu un cadre très utilisé par les sciences humaines et sociales. Plus largement, le concept a dépassé la sphère des scientifiques pour se répandre dans les médias, le langage politique et territorial. C’est, enfin, un puissant ressort artistique. Surtout, pour ces nombreuses communautés, l’anthropocène est devenu un concept capital, agrégateur de sciences éloignées les unes des autres. C’est devenu une matrice pour penser le monde de façon renouvelée et pour envisager de nouvelles méthodes de faire de la science, de l’art et des politiques publiques. Malgré la décision de la CIS, l’anthropocène continuera donc à vivre au sein de ces communautés.   Des périodes régulièrement redéfinies Les unités de temps chronostratigraphiques (notamment les périodes subdivisées en époques) ont fait l’objet de nombreuses discussions par le passé. Récemment, les limites du Quaternaire ou de l’Holocène, nos périodes et époques actuelles, ont été modifiées sans que les unités en elles-mêmes soient remises en question. Ce sont des caractéristiques relativement homogènes qui vont déterminer ces unités de temps géologique. Pour les temps très anciens, à l’échelle de la centaine de millions d’années, ces caractéristiques sont connues à un niveau de détail relativement faible. Plus on s’approche de notre présent, plus on dispose de données : ces unités de temps deviennent beaucoup plus courtes. Elles sont également caractérisées par des paramètres plus précis. Ainsi l’Holocène – la période actuelle – se définit, entre autres, par une gamme étroite de températures et de compositions de l’atmosphère et de l’océan. Or, depuis la révolution industrielle et surtout depuis l’après-guerre, les températures, tout comme la composition de l’atmosphère, ont varié de façon extrêmement rapide. Nous sommes sortis des gammes de variation habituelles de ces paramètres durant l’Holocène, comme le montre la partie tout à droite sur le graphe ci-dessous. Au-delà de ces seuls marqueurs, les activités humaines sont à l’origine de l’apparition de nombreux polluants. Les plastiques, par exemple,ont fini par s’incorporer dans les sédiments qui se déposent au fond des lacs et des océans depuis quelques dizaines d’années. Les tests nucléaires ont augmenté la concentration d’éléments radioactifs dans l’atmosphère et dans l’enregistrement sédimentaire. Ce sont ces marqueurs radioactifs qui ont conduit à faire débuter l’anthropocène en 1952, l’année de la première explosion aérienne d’une bombe à hydrogène. Avant la proposition du groupe de travail à la CIS, la question de la date de début de l’anthropocène avait déjà fait l’objet de débats et de plusieurs propositions. En effet, on peut retracer les influences des activités humaines plus loin en arrière. Quand Paul Crutzen, prix Nobel de chimie a proposé l’idée d’anthropocène en 2000, il estimait que cette nouvelle époque pouvait être datée au début de l’industrialisation liée à l’utilisation du charbon, à la fin du XVIIIᵉ siècle. Si le groupe de travail sur l’anthropocène n’a pas retenu ces dates, c’est qu’il s’est attaché à caractériser le moment où les activités humaines ont fortement, dramatiquement et, pour partie, irrémédiablement transformé les conditions de l’habitabilité de notre planète.   L’anthropocène comme point de bascule Les dates précédemment évoquées sont des signes avant-coureurs d’une croissance exponentielle de notre impact, dont on retrouve les traces indubitables dans notre environnement et les enregistrements géologiques après la Seconde Guerre mondiale. Quel que soit le paramètre envisagé (composition de l’atmosphère, températures, cycle du carbone, impacts sur la biodiversité, modifications du cycle de l’eau, explosion de la production alimentaire et du tourisme, développement de la consommation de biens matériels…) l’évolution montre une rupture majeure à partir des années 1950, et des taux de progression actuels que rien ne semble pouvoir enrayer. Depuis 2007, on décrit ce demi-siècle comme celui de la « Grande Accélération ». En quelques dizaines d’années, les variations ont largement dépassé les fluctuations des derniers millénaires et plus encore, celles de toute l’époque de l’Holocène, qui a début il y a plus de 10 000 ans. Nombre de travaux scientifiques l’ont montré, ces progressions nous entraînent vers des conditions non durables. Nous sortons d’un contexte bioclimatique favorable à la vie humaine…

Retour sur la fête de la science 2024 !

Par Sarah Journée

Publié le 22 octobre 2024 Retour sur la Fête de la Science 2024 ! La Fête de la Science est l’un des événements de valorisation des recherches scientifiques auprès du grand public les plus prisés par la communauté scientifique et par le public. Cette année 2024 elle s’est articulée autour du thème « L’eau dans tous ses états ». Découvrez en images le Village des Sciences de Colmar, organisé par la Nef des Sciences, qui a permis à des scientifiques de l’UHA de présenter leur travail à la société. https://youtu.be/0gSjfCuocPI?si=90-_qK7PDFCwu9jY Sur le même thème Tous |Article |Non classé |Podcast |Question |Recherche participative |Vidéo Ma Thèse en 180 secondes 2017 – Un aller simple pour la lumière ! Clémentine BIDAUD 7 avril 2017/ Publié le 7 avril 2017 Ma thèse en 180 secondes : Un aller simple pour la lumière ! Clémentine BIDAUD… Vidéo Apprendre la table de Mendeleïev avec des cartes 30 janvier 2019/ Publié le 30 janvier 2019 Apprendre la table de Mendeleïev avec des cartes   Créer un jeu de cartes ludique… Vidéo Fête de la science : Driss Laraqui, jeune docteur à l’honneur 29 septembre 2020/ Publié le 29 septembre 2020 Fête de la science : Driss Laraqui, jeune docteur à l’honneur   La Fête de… Vidéo

Quand la France produisait de l’antimoine, élément stratégique méconnu

Par Sarah Journée

Publié le 6 octobre 2024 Quand la France produisait de l’antimoine, élément stratégique méconnu Vincent Thiéry, IMT Nord Europe – Institut Mines-Télécom et Pierre-Christian Guiollard, Université de Haute-Alsace (UHA) Utilisé depuis l’Antiquité, l’antimoine est présent dans de nombreux objets de notre vie quotidienne. Alors que la Chine détient aujourd’hui le monopole de son extraction et s’apprête à limiter ses exportations, levons le voile sur un pan méconnu de l’histoire minière de la France : celle-ci fut, un temps, le premier producteur mondial d’antimoine. La récente décision de la Chine de limiter ses exportations d’antimoine, dont elle est le principal producteur mondial, repose une nouvelle fois la question de notre dépendance à ces métaux que nous n’exploitons plus sur notre territoire et que nous utilisons quotidiennement, parfois sans le savoir. Si la nouvelle ne vous a pas fait frémir, c’est sans doute que vous ignorez tout, comme la plupart des gens, de cet élément stratégique méconnu. Et pourtant, en son temps, la France fut un important producteur d’antimoine. Et même le premier producteur mondial, pendant quelques années… Mais alors, de quoi parle-t-on ? Cinquante-et-unième élément du tableau périodique, de symbole Sb, ce métalloïde (pnictogène) frappe par son nom original, dont l’étymologie est d’ailleurs controversée depuis le XVIIe siècle. La légende du moine Basile Valentin qui, voyant que ce minerai était bon pour les cochons, aurait empoisonné ses condisciples en leur en faisant ingérer a la vie dure… Mais le terme pourrait plutôt venir de l’arabe atemed ou encore du grec anti-monos, signifiant que cet élément est rarement seul dans la nature, puisqu’on le trouve essentiellement sous forme de sulfures ou d’oxydes.   Vomitif, purgatif et fard à paupières L’usage de antimoine date de l’Antiquité. Dans le pourtour méditerranéen, on l’utilisait traditionnellement comme fard à paupières, nommé « khôl ». Son incorporation dans les objets d’art est également attestée par l’étude d’un fragment de vase de Tello en Chaldée (actuellement Girsu, Irak) par le chimiste Marcelin Berthelot (1886). Par ailleurs, la médecine intègre l’antimoine à différentes préparations depuis des temps immémoriaux. Les banquets romains de l’antiquité l’utilisaient déjà comme vomitif au cours des banquets. Louis XIV fut guéri du typhus à 20 ans, sur les conseils de Mazarin, par un émétique (vomitif) à base d’antimoine – ironie du sort, ce même Mazarin mourut intoxiqué par des préparations médicales antimoniées… Les vertus purgatives de l’antimoine, tant comme vomitif que purgatif, ont donné lieu à un usage fréquent de cet élément dans différentes préparations. Telles que les « pilules perpétuelles » destinées à être ingurgitées puis éliminées par les voies naturelles pour être réutilisées après nettoyage. De nos jours, l’antimoine est par exemple utilisé dans le traitement de la leishmaniose, maladie chronique parasitaire provoquant des affections cutanées ou viscérales. Mais on retrouve aussi l’antimoine comme retardateur de flamme dans les matériaux combustibles (textiles, caoutchoucs synthétiques, peintures, plastiques de pare-chocs…).   De l’imprimerie aux shrapnels On le retrouve également dans de nombreux alliages métalliques. Après l’invention par Gutenberg de l’imprimerie moderne vers 1454, il prend son essor comme durcisseur du plomb dans les caractères d’imprimerie, où sa teneur atteint jusqu’à 30 % – en France, Le Démocrate, dans l’Aisne, est le dernier journal imprimé au plomb typographique. La teneur en antimoine dans les alliages à base de plomb varie de 5 à 6 % (batteries) à plus de 10 % (tôles, câbles, plombs de chasse). Son usage important dans des obus à balles (« Schrapnels », ou projectiles à fragmentation) au cours de la Première Guerre mondiale contribua à l’essor de son exploitation et à son caractère stratégique. Sous forme de pentasulfure, on le retrouve aussi comme lubrifiant dans les parties mobiles des automobiles. Certains semi-conducteurs, également, en incorporent. En chimie, enfin, les sulfures d’antimoine vulcanisent le caoutchouc, ce qui le colore en rouge. Il joue aussi un rôle de catalyseur dans la fabrication des polyéthylènes téréphtalates (PET). Enfin, le tartrate de potassium et d’antimoine (« tartre émétique ») est un pesticide utilisé dans le traitement des agrumes. Pour finir, l’aspect blanchissant de l’oxyde d’antimoine est mis à profit depuis longtemps dans les peintures.   Les plus grands gisements sont aujourd’hui en Chine Tout comme la majorité des ressources minérales, l’antimoine est réparti de manière inégale à la surface terrestre. Sa teneur moyenne est de l’ordre de 0,2 ppm à l’échelle de la croûte continentale, avec des variations notables entre par exemple certains basaltes qui en contiennent environ 10 ppm, alors que la majorité des autres roches en présentent des concentrations de l’ordre du ppm. Ainsi, différents processus géologiques (hydrothermalisme, magmatisme…) ont conduit à sa reconcentration en des sites bien spécifiques, en particulier sous forme de filons. À l’échelle mondiale, les gisements les plus importants sont situés en Chine, notamment au sein de la province du Hunan. La ville de Xikuangshan, où se situe la mine du même nom, est connue comme « capitale mondiale de l’antimoine ». Les réserves s’y chiffrent en centaines de milliers de tonnes d’antimoine métal. Notons parmi les autres pays exploitant encore l’antimoine de nos jours, la Bolivie et la Russie.   La France, l’autre pays de l’antimoine De par sa riche géologie, la France fut aussi un important producteur d’antimoine, et même le premier mondial (30 à 50 % de la production planétaire) entre 1888 et 1914 grâce aux gisements corses de 1888 à 1898 puis au gisement de La Lucette entre 1899 et 1914. Parmi les zones productrices, le district de Brioude-Massiac en Auvergne, au sein duquel les Romains extrayaient déjà du plomb et de l’argent, fut également majeur pour l’antimoine. Un texte historique nous le décrit ainsi : « Ces mines sont situées dans le plus affreux pays de la haute Auvergne […] le chemin qui conduit à Mercoyre (aujourd’hui Mercœur, NDLR), est si rude et si difficile, qu’il n’y a que les mulets du pays qui puissent y passer, encore faut-il plus de dix heures pour y arriver. On sent de loin l’odeur de soufre qui s’exhale des fours où on fait fondre la mine d’antimoine, et les feuilles des broussailles qui sont aux environs en paraissent endommagées. » À proximité de Massiac (15), l’ancienne mine d’Ouche détient à…

Aide sociale à l’enfance : ces mineurs pris en charge qui entrent dans la prostitution

Par Sarah Journée

Publié le 24 septembre 2024 Aide sociale à l’enfance : ces mineurs pris en charge qui entrent dans la prostitution Héléna Frithmann, Université de Strasbourg et Nathalie Gavens, Université de Haute-Alsace (UHA) Associations et acteurs de la société civile manifestent ce mercredi 25 septembre pour la protection de l’enfance. Retour sur les résultats d’une enquête menée au sein des établissements de l’aide sociale à l’enfance alors que certains mineurs pris en charge se prostituent. Le récent rapport de France Stratégie sur les ruptures de parcours de jeunes accompagnés par l’aide sociale à l’enfance met en exergue les carences au sein du système de protection de l’enfance en France. Certaines sont parfois sous-évaluées. Suite à plusieurs faits, une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance a été créée en mai 2024. Son objectif était de « faire la lumière sur les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance ». Cependant, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, cette commission a été brutalement arrêtée. Nos recherches récentes dans le domaine de la prostitution soulignent toutes les fragilités de ce public et rappellent l’urgence de poursuivre la mise en lumière des fonctionnements et des manquements de l’aide sociale à l’enfance.   Les failles de la protection de l’enfance Selon sa définition, la protection de l’enfance en France « vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ». Il s’agit donc pour l’État de prendre le relais et d’aider les familles en difficulté afin d’assurer la sécurité et le développement des enfants qui lui sont confiés. Or, depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour dénoncer les failles de ce système puisque le devenir des enfants placés est plus sombre que celui des enfants qui grandissent dans leur environnement familial : (scolarité complexe, mais aussi risque plus élevé de vivre une période sans domicile fixe, ou passage à la vie adulte plus difficile et teinté d’obstacles, etc.).   Des mineurs pris en charge par l’ASE victimes de prostitution En tant que chercheuses en Sciences de l’Éducation et de la Formation et en Psychologie, nous avons travaillé plusieurs années sur le public des mineurs placés en protection de l’enfance. Une partie de nos recherches porte sur la prise en charge de ces jeunes, notamment via une réflexion sur les dispositifs de prévention et de soutien des jeunes, de leurs parents et des professionnels qui les accompagnent. Des dysfonctionnements particulièrement alarmant concernent le phénomène de la prostitution des mineurs, présent dans des établissements de la protection de l’enfance. La prostitution peut se définir comme le fait de « se prêter, contre rémunération ou avantage en nature ou la promesse de l’un d’eux, à des relations sexuelles physiques ou virtuelles ». La prostitution juvénile est un sujet mal connu du grand public et de nombreux professionnels qui accompagnent des mineurs. Pourtant, ce phénomène semble prendre de l’ampleur ces dernières années. Comme le souligne ce dossier de presse, la fourchette de mineurs concernés par la prostitution mentionnée dans le document n’est qu’approximative et largement sous-estimée. Concernant la protection de l’enfance, une estimation de 2021 met en avant un chiffre d’« environ 15 000 mineurs victimes de prostitution uniquement au sein de l’aide sociale à l’enfance ». Les mineurs confiés semblent donc particulièrement touchés par ce phénomène. Ces jeunes sont vulnérables au niveau médico-psychologique et social. Leurs parcours sont souvent marqués par des ruptures, des traumatismes, des carences affectives et éducatives, de multiples violences, des phénomènes de brisures et des problématiques d’attachement qui peuvent conduire à des conduites à risques comme les scarifications, les crises suicidaires, les fugues, les addictions à divers objets ou encore la prostitution. Pour les protéger, l’État dispose de plusieurs mesures, dont l’accueil en établissements de la protection de l’enfance. Dans ce cas, l’enfant est placé de manière provisoire dans un lieu d’hébergement comme un foyer de l’enfance, une maison d’enfants à caractère social ou encore un foyer d’action éducative. Ces établissements ont pour mission d’assurer le maintien de la santé physique et psychique, la sécurité et la moralité des jeunes ainsi que leur structuration et insertion sociale, scolaire et professionnelle. Cependant, force est de constater que la mesure de placement peut amener certains jeunes à entrer dans la prostitution.   Ce qui favorise l’entrée dans la prostitution Suite aux résultats de nos recherches menées sur le terrain auprès d’adolescentes placées, nous proposons ici d’expliciter trois éléments qui nous semblent favoriser la mise en place d’une telle conduite. D’abord, ces structures d’accueil peuvent être considérées par les riverains ou les personnes renseignées et mal intentionnées comme des « cibles » : « les professionnels qui y travaillent mettent en avant le fait que des recruteurs, des proxénètes et des clients connaissent la localisation de la structure et savent que des mineures vulnérables y sont hébergées. Elles sont donc régulièrement abordées dans la rue aux alentours de la structure par ces individus afin d’avoir des rapports sexuels tarifiés », comme le montre notre recherche. Ensuite, les jeunes placés en établissements vivent au quotidien dans un lieu d’hébergement collectif. Ce nouvel environnement de vie n’est pas sans conséquence sur leur quotidien. En effet, la mesure de placement en structure est un bouleversement important dans leur vie puisqu’elle induit la séparation avec leurs familles, leurs amis, la sphère scolaire et de manière plus globale leurs repères et habitudes. Dans certaines situations, la mesure de placement renforce donc le besoin d’appartenance et de reconnaissance de ces jeunes à un groupe, souvent le groupe de pairs de l’établissement.   Les fréquentations des jeunes placées Dans notre étude, suite à leur arrivée au foyer et via des relations nouées dans la structure, les adolescentes développent un sentiment d’appartenance important au groupe de paires de l’établissement. Par ce biais, elles sont rapidement mises en lien avec des conduites à risques comme les fugues, la consommation d’alcool, de produits psychotropes et l’initiation à certaines pratiques sexuelles, avant d’entrer dans la pratique prostitutionnelle. Enfin, les…

Manquera-t-on de bière demain à cause du changement climatique ?

Par Sarah Journée

Publié le 20 septembre 2024 Manquera-t-on de bière demain à cause du changement climatique ? Gaël Bohnert, Université de Haute-Alsace (UHA) Une étude menée en Alsace montre que le changement climatique aura des effets significatifs sur le secteur brassicole. Dans cette région, les récoltes de malt et de houblon seront affectées, de même que les conditions de production industrielle. Dans le même temps, les goûts des consommateurs sont en train de changer. Les amateurs de bière n’auront pas manqué de remarquer la profonde mutation que connaît le secteur brassicole depuis quelques années. Elle se manifeste principalement par ce qui a été nommé la « craft beer revolution », autrement dit la multiplication des micro-brasseries artisanales. Il en a découlé une diversification des styles de bières, produites tant par ces nouvelles micro-brasseries que par des groupes multinationaux qui s’en inspirent, pour le plus grand plaisir des palais à la recherche de nouvelles saveurs. Un élément pourrait néanmoins venir perturber cette évolution : le changement climatique. Une étude que nous avons menée en 2020 en Alsace met en effet en évidence diverses conséquences que le changement climatique peut avoir sur le secteur brassicole. Selon le niveau de la filière concernée, on peut distinguer trois types d’effets : les impacts agricoles portant sur l’approvisionnement en matières premières, les impacts industriels dédiés aux processus de brassage et les impacts indirects résultant de la modification des attentes des consommateurs.   Le malt et le houblon menacés D’après mes entretiens, les plus forts effets du changement climatique sont à redouter dès l’amont de la filière : « Les plus gros risques pour la bière, c’est sur l’agriculture », m’a ainsi assuré un brasseur. Ces risques portent à la fois sur la quantité et sur la qualité de l’approvisionnement en malt (produit principalement à partir d’orge) et en houblon, les principales matières premières qui composent la bière après l’eau. Ce sont notamment les périodes de sécheresse qui inquiètent. Les rendements de l’orge et du houblon pourraient être significativement réduits par une baisse des précipitations estivales, justement annoncées par les projections climatiques dans la région. Sur l’aspect qualitatif, c’est davantage le houblon qui concentre les préoccupations. Alors qu’il est utilisé en grande partie pour donner son amertume à la bière, les fortes températures, appelées à être de plus en plus courantes, entraînent une baisse de la concentration des acides alpha, molécules responsables de cette amertume. Pour se prémunir d’un approvisionnement déficient en quantité ou qualité, certains brasseurs envisagent – voire testent déjà – plusieurs mesures. Une première réponse est de changer de fournisseurs, afin de faire venir les matières premières de régions moins affectées, comme le Royaume-Uni. Une stratégie qui ne suffira pas à long terme, si les brasseurs du monde entier se tournent vers le voisin britannique pour s’approvisionner. L’autre piste évoquée consiste à optimiser les processus de production, voire modifier les recettes, afin de limiter la quantité de matières premières nécessaires. Ce qui aboutirait à des bières moins fortes – qui dit moins de sucres apportés par le malt pour la fermentation dit moins d’alcool produit – ou moins houblonnées. Un brasseur va même jusqu’à expérimenter des bières sans houblon, qu’il remplace par de l’achillée mille-feuille ou du lierre terrestre pour aromatiser. Les impacts industriels Si les conséquences du changement climatique sur la production de bière en elle-même semblent moins prononcées que sur l’amont agricole, elles ne sont pas négligeables. L’eau, premier ingrédient de la bière puisqu’elle en compose 90 à 95 % de la masse des ingrédients, est la principale problématique en la matière. Une brasserie efficiente consommera ainsi entre 4 et 7 litres d’eau pour produire 1 litre de bière : face à l’intensification des sécheresses, de nombreux brasseurs craignent de se voir imposer des restrictions d’eau qui les forceraient à arrêter ou réduire leur activité pendant l’été. Des mesures d’économies sont alors entreprises, la plus répandue étant de récupérer l’eau de refroidissement. Une autre difficulté peut provenir des fortes chaleurs : les cuves de fermentation doivent être maintenues à une température relativement constante et fraîche (4-13 °C pour la fermentation basse et 16-24 °C pour la fermentation haute). Sur ce point, la popularité des bières de fermentation haute dans le monde de la brasserie artisanale (bières souvent plus fortes en alcool et en goût, IPA par exemple) pourrait rendre ces dernières moins vulnérables aux fortes chaleurs que les grandes brasseries les plus industrialisées, qui ont fondé leur croissance sur le développement de bières de fermentation basse, qui nécessite plus d’énergie en cas de fortes chaleurs : c’est le cas des lagers, bières généralement moins fortes et visant essentiellement le rafraîchissement : « Le refroidissement est une question, parce que sur les consommations électriques, ça pèse environ un tiers de la consommation électrique » constate un brasseur. Si aucun des brasseurs rencontrés n’avait rencontré ce cas extrême lors de nos échanges, des températures trop élevées peuvent également aller jusqu’à rendre impossible un refroidissement suffisant. Le choix peut alors être fait de mettre en pause la production pendant les mois les plus chauds, mais ce sont surtout des mesures structurelles qui sont mises en avant pour réduire les besoins en froid et donc la consommation énergétique (isolation notamment). Une stratégie peut aussi être de sécuriser l’accès à une électricité propre et peu chère car autoproduite, en installant des panneaux photovoltaïques sur le toit de la brasserie par exemple.   Des consommateurs plus exigeants Enfin, au-delà de ces impacts directs, le changement climatique engendre d’autres effets indirects sur le secteur brassicole. Il s’agit de s’adapter aux évolutions que ces perturbations entraînent au niveau de la consommation. Si la bière est généralement considérée comme une boisson rafraîchissante, l’alcool qu’elle contient est peu recherché en période de canicule et les bars moins fréquentés. Ce comportement concorde d’ailleurs avec les recommandations publiques. Selon certains brasseurs interrogés, le développement de bières sans alcool vise ainsi explicitement à s’adapter à cette évolution de la demande lors des fortes chaleurs. Surtout, la médiatisation du changement climatique a fait naître de nouvelles attentes de durabilité, opportunités pour se déployer sur de nouveaux marchés (circuits courts, agriculture biologique, consigne…

Offensive ukrainienne : les Russes plongés dans la guerre

Par Sarah Journée

Publié le 20 août 2024 Offensive ukrainienne : les Russes plongés dans la guerre Des volontaires locaux passent devant un bâtiment endommagé par des frappes ukrainiennes à Koursk, le 16 août 2024. ©AFP – TATYANA MAKEYEVA   Le 6 août 2024, l’Ukraine a franchi la frontière Russe et contrôle une partie du territoire russe. En même temps au Kremlin, le pouvoir en place semble minimiser cette incursion.   France Culture vous invite à essayer de comprendre les enjeux politiques de cette épisode inédit dans la guerre Ukraine/Russie dans leur podcast France Culture va plus loin (l’Invité(e) des Matins).   Les invité·es : Clémentine Fauconnier est maîtresse de conférence en sciences politiques à l’UHA et chercheuse au laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe (SAGE). Paul Gogo est journaliste à Moscou.   Écoutez le podcast : Pour plus d’information, rendez-vous sur le site : France Culture Clémentine Fauconnier Maîtresse de conférence en sciences politiques (FSESJ & SAGE) Sur le même thème Tous |Article |Non classé |Podcast |Question |Recherche participative |Vidéo La guerre de l’histoire : Poutine et l’héritage stalinien 22 mars 2022/ Publié le 22 mars 2022 La guerre de l’histoire : Poutine et l’héritage stalinien. Les propos de Vladimir et sa… Podcast Guerre en Ukraine : les sciences sociales mobilisées 26 mars 2022/ Publié le 26 mars 2022 Guerre en Ukraine : les sciences sociales mobilisées Un bâtiment de sciences sociales de l’université… Podcast Les termes du débat : Référendum 30 septembre 2022/ Publié le 30 septembre 2022 Les termes du débat : Référendum Une femme participe à un référendum dans un bureau… Podcast