Mois : octobre 2024

L’anthropocène, un objet frontière qui signifie plus qu’une tranche de temps géologique

Par Sarah Journée

Publié le 28 octobre 2024 L’anthropocène, un objet frontière qui signifie plus qu’une tranche de temps géologique Luc Aquilina, Université de Rennes 1 – Université de Rennes; Catherine Jeandel, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Clément Poirier, Université de Caen Normandie; Clément Roques, Université de Neuchâtel; Jacques Grinevald, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID); Jan Zalasiewicz, University of Leicester; Jérôme Gaillardet, Institut de physique du globe de Paris (IPGP); Martin J. Head, Brock University; Michel Magny, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP); Nathanaël Wallenhorst, Université de Haute-Alsace (UHA) et Simon Turner, UCL Même si le groupe de travail de la Commission internationale de stratigraphie a refusé la proposition de créer une nouvelle période géologique nommée anthropocène, le débat n’est pas clos pour autant. Le concept reste précieux pour décrire notre époque, et permet de fédérer des communautés scientifiques distinctes. Les géologues découpent l’histoire de la Terre en « tranches de temps » chronologiques qu’on appelle la « chronostratigraphie ». Depuis 20 ans, l’observation de l’impact des activités humaines sur le système Terre a conduit à penser que nous étions entrés dans une nouvelle époque géologique : l’anthropocène. La définition de cette dernière a fait l’objet d’un groupe de travail créé au sein de la Commission internationale de stratigraphie (CIS), l’instance qui décide de la chronologie géologique. La proposition du groupe de travail de créer une nouvelle époque à partir de 1952 a été refusée par la CIS le 5 mars 2024. Nous ne reprendrons pas ici le détail des arguments techniques sur lesquels se base ce refus. Ils ont été contrés un à un, par le groupe de travail sur l’anthropocène, puis par des chercheurs extérieurs – et cela à plusieurs reprises. Notre question est : le débat est-il clos ? La réponse que viennent d’apporter plus de 50 scientifiques dans la revue Nature est : non !   Un concept qui fédère les différentes communautés scientifiques Au-delà de la communauté stratigraphique, le concept d’anthropocène est reconnu par plusieurs communautés. Il est couramment repris par l’ensemble des scientifiques qui travaillent sur le « système Terre » (géologues, climatologues, hydrologues, écologues, pédologues…). Il est devenu un cadre très utilisé par les sciences humaines et sociales. Plus largement, le concept a dépassé la sphère des scientifiques pour se répandre dans les médias, le langage politique et territorial. C’est, enfin, un puissant ressort artistique. Surtout, pour ces nombreuses communautés, l’anthropocène est devenu un concept capital, agrégateur de sciences éloignées les unes des autres. C’est devenu une matrice pour penser le monde de façon renouvelée et pour envisager de nouvelles méthodes de faire de la science, de l’art et des politiques publiques. Malgré la décision de la CIS, l’anthropocène continuera donc à vivre au sein de ces communautés.   Des périodes régulièrement redéfinies Les unités de temps chronostratigraphiques (notamment les périodes subdivisées en époques) ont fait l’objet de nombreuses discussions par le passé. Récemment, les limites du Quaternaire ou de l’Holocène, nos périodes et époques actuelles, ont été modifiées sans que les unités en elles-mêmes soient remises en question. Ce sont des caractéristiques relativement homogènes qui vont déterminer ces unités de temps géologique. Pour les temps très anciens, à l’échelle de la centaine de millions d’années, ces caractéristiques sont connues à un niveau de détail relativement faible. Plus on s’approche de notre présent, plus on dispose de données : ces unités de temps deviennent beaucoup plus courtes. Elles sont également caractérisées par des paramètres plus précis. Ainsi l’Holocène – la période actuelle – se définit, entre autres, par une gamme étroite de températures et de compositions de l’atmosphère et de l’océan. Or, depuis la révolution industrielle et surtout depuis l’après-guerre, les températures, tout comme la composition de l’atmosphère, ont varié de façon extrêmement rapide. Nous sommes sortis des gammes de variation habituelles de ces paramètres durant l’Holocène, comme le montre la partie tout à droite sur le graphe ci-dessous. Au-delà de ces seuls marqueurs, les activités humaines sont à l’origine de l’apparition de nombreux polluants. Les plastiques, par exemple,ont fini par s’incorporer dans les sédiments qui se déposent au fond des lacs et des océans depuis quelques dizaines d’années. Les tests nucléaires ont augmenté la concentration d’éléments radioactifs dans l’atmosphère et dans l’enregistrement sédimentaire. Ce sont ces marqueurs radioactifs qui ont conduit à faire débuter l’anthropocène en 1952, l’année de la première explosion aérienne d’une bombe à hydrogène. Avant la proposition du groupe de travail à la CIS, la question de la date de début de l’anthropocène avait déjà fait l’objet de débats et de plusieurs propositions. En effet, on peut retracer les influences des activités humaines plus loin en arrière. Quand Paul Crutzen, prix Nobel de chimie a proposé l’idée d’anthropocène en 2000, il estimait que cette nouvelle époque pouvait être datée au début de l’industrialisation liée à l’utilisation du charbon, à la fin du XVIIIᵉ siècle. Si le groupe de travail sur l’anthropocène n’a pas retenu ces dates, c’est qu’il s’est attaché à caractériser le moment où les activités humaines ont fortement, dramatiquement et, pour partie, irrémédiablement transformé les conditions de l’habitabilité de notre planète.   L’anthropocène comme point de bascule Les dates précédemment évoquées sont des signes avant-coureurs d’une croissance exponentielle de notre impact, dont on retrouve les traces indubitables dans notre environnement et les enregistrements géologiques après la Seconde Guerre mondiale. Quel que soit le paramètre envisagé (composition de l’atmosphère, températures, cycle du carbone, impacts sur la biodiversité, modifications du cycle de l’eau, explosion de la production alimentaire et du tourisme, développement de la consommation de biens matériels…) l’évolution montre une rupture majeure à partir des années 1950, et des taux de progression actuels que rien ne semble pouvoir enrayer. Depuis 2007, on décrit ce demi-siècle comme celui de la « Grande Accélération ». En quelques dizaines d’années, les variations ont largement dépassé les fluctuations des derniers millénaires et plus encore, celles de toute l’époque de l’Holocène, qui a début il y a plus de 10 000 ans. Nombre de travaux scientifiques l’ont montré, ces progressions nous entraînent vers des conditions non durables. Nous sortons d’un contexte bioclimatique favorable à la vie humaine…

Retour sur la fête de la science 2024 !

Par Sarah Journée

Publié le 22 octobre 2024 Retour sur la Fête de la Science 2024 ! La Fête de la Science est l’un des événements de valorisation des recherches scientifiques auprès du grand public les plus prisés par la communauté scientifique et par le public. Cette année 2024 elle s’est articulée autour du thème « L’eau dans tous ses états ». Découvrez en images le Village des Sciences de Colmar, organisé par la Nef des Sciences, qui a permis à des scientifiques de l’UHA de présenter leur travail à la société. https://youtu.be/0gSjfCuocPI?si=90-_qK7PDFCwu9jY Sur le même thème Tous |Article |Non classé |Podcast |Question |Recherche participative |Vidéo Ma Thèse en 180 secondes 2017 – Un aller simple pour la lumière ! Clémentine BIDAUD 7 avril 2017/ Publié le 7 avril 2017 Ma thèse en 180 secondes : Un aller simple pour la lumière ! Clémentine BIDAUD… Vidéo Apprendre la table de Mendeleïev avec des cartes 30 janvier 2019/ Publié le 30 janvier 2019 Apprendre la table de Mendeleïev avec des cartes   Créer un jeu de cartes ludique… Vidéo Fête de la science : Driss Laraqui, jeune docteur à l’honneur 29 septembre 2020/ Publié le 29 septembre 2020 Fête de la science : Driss Laraqui, jeune docteur à l’honneur   La Fête de… Vidéo

Quand la France produisait de l’antimoine, élément stratégique méconnu

Par Sarah Journée

Publié le 6 octobre 2024 Quand la France produisait de l’antimoine, élément stratégique méconnu Vincent Thiéry, IMT Nord Europe – Institut Mines-Télécom et Pierre-Christian Guiollard, Université de Haute-Alsace (UHA) Utilisé depuis l’Antiquité, l’antimoine est présent dans de nombreux objets de notre vie quotidienne. Alors que la Chine détient aujourd’hui le monopole de son extraction et s’apprête à limiter ses exportations, levons le voile sur un pan méconnu de l’histoire minière de la France : celle-ci fut, un temps, le premier producteur mondial d’antimoine. La récente décision de la Chine de limiter ses exportations d’antimoine, dont elle est le principal producteur mondial, repose une nouvelle fois la question de notre dépendance à ces métaux que nous n’exploitons plus sur notre territoire et que nous utilisons quotidiennement, parfois sans le savoir. Si la nouvelle ne vous a pas fait frémir, c’est sans doute que vous ignorez tout, comme la plupart des gens, de cet élément stratégique méconnu. Et pourtant, en son temps, la France fut un important producteur d’antimoine. Et même le premier producteur mondial, pendant quelques années… Mais alors, de quoi parle-t-on ? Cinquante-et-unième élément du tableau périodique, de symbole Sb, ce métalloïde (pnictogène) frappe par son nom original, dont l’étymologie est d’ailleurs controversée depuis le XVIIe siècle. La légende du moine Basile Valentin qui, voyant que ce minerai était bon pour les cochons, aurait empoisonné ses condisciples en leur en faisant ingérer a la vie dure… Mais le terme pourrait plutôt venir de l’arabe atemed ou encore du grec anti-monos, signifiant que cet élément est rarement seul dans la nature, puisqu’on le trouve essentiellement sous forme de sulfures ou d’oxydes.   Vomitif, purgatif et fard à paupières L’usage de antimoine date de l’Antiquité. Dans le pourtour méditerranéen, on l’utilisait traditionnellement comme fard à paupières, nommé « khôl ». Son incorporation dans les objets d’art est également attestée par l’étude d’un fragment de vase de Tello en Chaldée (actuellement Girsu, Irak) par le chimiste Marcelin Berthelot (1886). Par ailleurs, la médecine intègre l’antimoine à différentes préparations depuis des temps immémoriaux. Les banquets romains de l’antiquité l’utilisaient déjà comme vomitif au cours des banquets. Louis XIV fut guéri du typhus à 20 ans, sur les conseils de Mazarin, par un émétique (vomitif) à base d’antimoine – ironie du sort, ce même Mazarin mourut intoxiqué par des préparations médicales antimoniées… Les vertus purgatives de l’antimoine, tant comme vomitif que purgatif, ont donné lieu à un usage fréquent de cet élément dans différentes préparations. Telles que les « pilules perpétuelles » destinées à être ingurgitées puis éliminées par les voies naturelles pour être réutilisées après nettoyage. De nos jours, l’antimoine est par exemple utilisé dans le traitement de la leishmaniose, maladie chronique parasitaire provoquant des affections cutanées ou viscérales. Mais on retrouve aussi l’antimoine comme retardateur de flamme dans les matériaux combustibles (textiles, caoutchoucs synthétiques, peintures, plastiques de pare-chocs…).   De l’imprimerie aux shrapnels On le retrouve également dans de nombreux alliages métalliques. Après l’invention par Gutenberg de l’imprimerie moderne vers 1454, il prend son essor comme durcisseur du plomb dans les caractères d’imprimerie, où sa teneur atteint jusqu’à 30 % – en France, Le Démocrate, dans l’Aisne, est le dernier journal imprimé au plomb typographique. La teneur en antimoine dans les alliages à base de plomb varie de 5 à 6 % (batteries) à plus de 10 % (tôles, câbles, plombs de chasse). Son usage important dans des obus à balles (« Schrapnels », ou projectiles à fragmentation) au cours de la Première Guerre mondiale contribua à l’essor de son exploitation et à son caractère stratégique. Sous forme de pentasulfure, on le retrouve aussi comme lubrifiant dans les parties mobiles des automobiles. Certains semi-conducteurs, également, en incorporent. En chimie, enfin, les sulfures d’antimoine vulcanisent le caoutchouc, ce qui le colore en rouge. Il joue aussi un rôle de catalyseur dans la fabrication des polyéthylènes téréphtalates (PET). Enfin, le tartrate de potassium et d’antimoine (« tartre émétique ») est un pesticide utilisé dans le traitement des agrumes. Pour finir, l’aspect blanchissant de l’oxyde d’antimoine est mis à profit depuis longtemps dans les peintures.   Les plus grands gisements sont aujourd’hui en Chine Tout comme la majorité des ressources minérales, l’antimoine est réparti de manière inégale à la surface terrestre. Sa teneur moyenne est de l’ordre de 0,2 ppm à l’échelle de la croûte continentale, avec des variations notables entre par exemple certains basaltes qui en contiennent environ 10 ppm, alors que la majorité des autres roches en présentent des concentrations de l’ordre du ppm. Ainsi, différents processus géologiques (hydrothermalisme, magmatisme…) ont conduit à sa reconcentration en des sites bien spécifiques, en particulier sous forme de filons. À l’échelle mondiale, les gisements les plus importants sont situés en Chine, notamment au sein de la province du Hunan. La ville de Xikuangshan, où se situe la mine du même nom, est connue comme « capitale mondiale de l’antimoine ». Les réserves s’y chiffrent en centaines de milliers de tonnes d’antimoine métal. Notons parmi les autres pays exploitant encore l’antimoine de nos jours, la Bolivie et la Russie.   La France, l’autre pays de l’antimoine De par sa riche géologie, la France fut aussi un important producteur d’antimoine, et même le premier mondial (30 à 50 % de la production planétaire) entre 1888 et 1914 grâce aux gisements corses de 1888 à 1898 puis au gisement de La Lucette entre 1899 et 1914. Parmi les zones productrices, le district de Brioude-Massiac en Auvergne, au sein duquel les Romains extrayaient déjà du plomb et de l’argent, fut également majeur pour l’antimoine. Un texte historique nous le décrit ainsi : « Ces mines sont situées dans le plus affreux pays de la haute Auvergne […] le chemin qui conduit à Mercoyre (aujourd’hui Mercœur, NDLR), est si rude et si difficile, qu’il n’y a que les mulets du pays qui puissent y passer, encore faut-il plus de dix heures pour y arriver. On sent de loin l’odeur de soufre qui s’exhale des fours où on fait fondre la mine d’antimoine, et les feuilles des broussailles qui sont aux environs en paraissent endommagées. » À proximité de Massiac (15), l’ancienne mine d’Ouche détient à…