Mois : septembre 2024

Aide sociale à l’enfance : ces mineurs pris en charge qui entrent dans la prostitution

Par Sarah Journée

Publié le 24 septembre 2024 Aide sociale à l’enfance : ces mineurs pris en charge qui entrent dans la prostitution Héléna Frithmann, Université de Strasbourg et Nathalie Gavens, Université de Haute-Alsace (UHA) Associations et acteurs de la société civile manifestent ce mercredi 25 septembre pour la protection de l’enfance. Retour sur les résultats d’une enquête menée au sein des établissements de l’aide sociale à l’enfance alors que certains mineurs pris en charge se prostituent. Le récent rapport de France Stratégie sur les ruptures de parcours de jeunes accompagnés par l’aide sociale à l’enfance met en exergue les carences au sein du système de protection de l’enfance en France. Certaines sont parfois sous-évaluées. Suite à plusieurs faits, une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance a été créée en mai 2024. Son objectif était de « faire la lumière sur les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance ». Cependant, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, cette commission a été brutalement arrêtée. Nos recherches récentes dans le domaine de la prostitution soulignent toutes les fragilités de ce public et rappellent l’urgence de poursuivre la mise en lumière des fonctionnements et des manquements de l’aide sociale à l’enfance.   Les failles de la protection de l’enfance Selon sa définition, la protection de l’enfance en France « vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ». Il s’agit donc pour l’État de prendre le relais et d’aider les familles en difficulté afin d’assurer la sécurité et le développement des enfants qui lui sont confiés. Or, depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour dénoncer les failles de ce système puisque le devenir des enfants placés est plus sombre que celui des enfants qui grandissent dans leur environnement familial : (scolarité complexe, mais aussi risque plus élevé de vivre une période sans domicile fixe, ou passage à la vie adulte plus difficile et teinté d’obstacles, etc.).   Des mineurs pris en charge par l’ASE victimes de prostitution En tant que chercheuses en Sciences de l’Éducation et de la Formation et en Psychologie, nous avons travaillé plusieurs années sur le public des mineurs placés en protection de l’enfance. Une partie de nos recherches porte sur la prise en charge de ces jeunes, notamment via une réflexion sur les dispositifs de prévention et de soutien des jeunes, de leurs parents et des professionnels qui les accompagnent. Des dysfonctionnements particulièrement alarmant concernent le phénomène de la prostitution des mineurs, présent dans des établissements de la protection de l’enfance. La prostitution peut se définir comme le fait de « se prêter, contre rémunération ou avantage en nature ou la promesse de l’un d’eux, à des relations sexuelles physiques ou virtuelles ». La prostitution juvénile est un sujet mal connu du grand public et de nombreux professionnels qui accompagnent des mineurs. Pourtant, ce phénomène semble prendre de l’ampleur ces dernières années. Comme le souligne ce dossier de presse, la fourchette de mineurs concernés par la prostitution mentionnée dans le document n’est qu’approximative et largement sous-estimée. Concernant la protection de l’enfance, une estimation de 2021 met en avant un chiffre d’« environ 15 000 mineurs victimes de prostitution uniquement au sein de l’aide sociale à l’enfance ». Les mineurs confiés semblent donc particulièrement touchés par ce phénomène. Ces jeunes sont vulnérables au niveau médico-psychologique et social. Leurs parcours sont souvent marqués par des ruptures, des traumatismes, des carences affectives et éducatives, de multiples violences, des phénomènes de brisures et des problématiques d’attachement qui peuvent conduire à des conduites à risques comme les scarifications, les crises suicidaires, les fugues, les addictions à divers objets ou encore la prostitution. Pour les protéger, l’État dispose de plusieurs mesures, dont l’accueil en établissements de la protection de l’enfance. Dans ce cas, l’enfant est placé de manière provisoire dans un lieu d’hébergement comme un foyer de l’enfance, une maison d’enfants à caractère social ou encore un foyer d’action éducative. Ces établissements ont pour mission d’assurer le maintien de la santé physique et psychique, la sécurité et la moralité des jeunes ainsi que leur structuration et insertion sociale, scolaire et professionnelle. Cependant, force est de constater que la mesure de placement peut amener certains jeunes à entrer dans la prostitution.   Ce qui favorise l’entrée dans la prostitution Suite aux résultats de nos recherches menées sur le terrain auprès d’adolescentes placées, nous proposons ici d’expliciter trois éléments qui nous semblent favoriser la mise en place d’une telle conduite. D’abord, ces structures d’accueil peuvent être considérées par les riverains ou les personnes renseignées et mal intentionnées comme des « cibles » : « les professionnels qui y travaillent mettent en avant le fait que des recruteurs, des proxénètes et des clients connaissent la localisation de la structure et savent que des mineures vulnérables y sont hébergées. Elles sont donc régulièrement abordées dans la rue aux alentours de la structure par ces individus afin d’avoir des rapports sexuels tarifiés », comme le montre notre recherche. Ensuite, les jeunes placés en établissements vivent au quotidien dans un lieu d’hébergement collectif. Ce nouvel environnement de vie n’est pas sans conséquence sur leur quotidien. En effet, la mesure de placement en structure est un bouleversement important dans leur vie puisqu’elle induit la séparation avec leurs familles, leurs amis, la sphère scolaire et de manière plus globale leurs repères et habitudes. Dans certaines situations, la mesure de placement renforce donc le besoin d’appartenance et de reconnaissance de ces jeunes à un groupe, souvent le groupe de pairs de l’établissement.   Les fréquentations des jeunes placées Dans notre étude, suite à leur arrivée au foyer et via des relations nouées dans la structure, les adolescentes développent un sentiment d’appartenance important au groupe de paires de l’établissement. Par ce biais, elles sont rapidement mises en lien avec des conduites à risques comme les fugues, la consommation d’alcool, de produits psychotropes et l’initiation à certaines pratiques sexuelles, avant d’entrer dans la pratique prostitutionnelle. Enfin, les…

Manquera-t-on de bière demain à cause du changement climatique ?

Par Sarah Journée

Publié le 20 septembre 2024 Manquera-t-on de bière demain à cause du changement climatique ? Gaël Bohnert, Université de Haute-Alsace (UHA) Une étude menée en Alsace montre que le changement climatique aura des effets significatifs sur le secteur brassicole. Dans cette région, les récoltes de malt et de houblon seront affectées, de même que les conditions de production industrielle. Dans le même temps, les goûts des consommateurs sont en train de changer. Les amateurs de bière n’auront pas manqué de remarquer la profonde mutation que connaît le secteur brassicole depuis quelques années. Elle se manifeste principalement par ce qui a été nommé la « craft beer revolution », autrement dit la multiplication des micro-brasseries artisanales. Il en a découlé une diversification des styles de bières, produites tant par ces nouvelles micro-brasseries que par des groupes multinationaux qui s’en inspirent, pour le plus grand plaisir des palais à la recherche de nouvelles saveurs. Un élément pourrait néanmoins venir perturber cette évolution : le changement climatique. Une étude que nous avons menée en 2020 en Alsace met en effet en évidence diverses conséquences que le changement climatique peut avoir sur le secteur brassicole. Selon le niveau de la filière concernée, on peut distinguer trois types d’effets : les impacts agricoles portant sur l’approvisionnement en matières premières, les impacts industriels dédiés aux processus de brassage et les impacts indirects résultant de la modification des attentes des consommateurs.   Le malt et le houblon menacés D’après mes entretiens, les plus forts effets du changement climatique sont à redouter dès l’amont de la filière : « Les plus gros risques pour la bière, c’est sur l’agriculture », m’a ainsi assuré un brasseur. Ces risques portent à la fois sur la quantité et sur la qualité de l’approvisionnement en malt (produit principalement à partir d’orge) et en houblon, les principales matières premières qui composent la bière après l’eau. Ce sont notamment les périodes de sécheresse qui inquiètent. Les rendements de l’orge et du houblon pourraient être significativement réduits par une baisse des précipitations estivales, justement annoncées par les projections climatiques dans la région. Sur l’aspect qualitatif, c’est davantage le houblon qui concentre les préoccupations. Alors qu’il est utilisé en grande partie pour donner son amertume à la bière, les fortes températures, appelées à être de plus en plus courantes, entraînent une baisse de la concentration des acides alpha, molécules responsables de cette amertume. Pour se prémunir d’un approvisionnement déficient en quantité ou qualité, certains brasseurs envisagent – voire testent déjà – plusieurs mesures. Une première réponse est de changer de fournisseurs, afin de faire venir les matières premières de régions moins affectées, comme le Royaume-Uni. Une stratégie qui ne suffira pas à long terme, si les brasseurs du monde entier se tournent vers le voisin britannique pour s’approvisionner. L’autre piste évoquée consiste à optimiser les processus de production, voire modifier les recettes, afin de limiter la quantité de matières premières nécessaires. Ce qui aboutirait à des bières moins fortes – qui dit moins de sucres apportés par le malt pour la fermentation dit moins d’alcool produit – ou moins houblonnées. Un brasseur va même jusqu’à expérimenter des bières sans houblon, qu’il remplace par de l’achillée mille-feuille ou du lierre terrestre pour aromatiser. Les impacts industriels Si les conséquences du changement climatique sur la production de bière en elle-même semblent moins prononcées que sur l’amont agricole, elles ne sont pas négligeables. L’eau, premier ingrédient de la bière puisqu’elle en compose 90 à 95 % de la masse des ingrédients, est la principale problématique en la matière. Une brasserie efficiente consommera ainsi entre 4 et 7 litres d’eau pour produire 1 litre de bière : face à l’intensification des sécheresses, de nombreux brasseurs craignent de se voir imposer des restrictions d’eau qui les forceraient à arrêter ou réduire leur activité pendant l’été. Des mesures d’économies sont alors entreprises, la plus répandue étant de récupérer l’eau de refroidissement. Une autre difficulté peut provenir des fortes chaleurs : les cuves de fermentation doivent être maintenues à une température relativement constante et fraîche (4-13 °C pour la fermentation basse et 16-24 °C pour la fermentation haute). Sur ce point, la popularité des bières de fermentation haute dans le monde de la brasserie artisanale (bières souvent plus fortes en alcool et en goût, IPA par exemple) pourrait rendre ces dernières moins vulnérables aux fortes chaleurs que les grandes brasseries les plus industrialisées, qui ont fondé leur croissance sur le développement de bières de fermentation basse, qui nécessite plus d’énergie en cas de fortes chaleurs : c’est le cas des lagers, bières généralement moins fortes et visant essentiellement le rafraîchissement : « Le refroidissement est une question, parce que sur les consommations électriques, ça pèse environ un tiers de la consommation électrique » constate un brasseur. Si aucun des brasseurs rencontrés n’avait rencontré ce cas extrême lors de nos échanges, des températures trop élevées peuvent également aller jusqu’à rendre impossible un refroidissement suffisant. Le choix peut alors être fait de mettre en pause la production pendant les mois les plus chauds, mais ce sont surtout des mesures structurelles qui sont mises en avant pour réduire les besoins en froid et donc la consommation énergétique (isolation notamment). Une stratégie peut aussi être de sécuriser l’accès à une électricité propre et peu chère car autoproduite, en installant des panneaux photovoltaïques sur le toit de la brasserie par exemple.   Des consommateurs plus exigeants Enfin, au-delà de ces impacts directs, le changement climatique engendre d’autres effets indirects sur le secteur brassicole. Il s’agit de s’adapter aux évolutions que ces perturbations entraînent au niveau de la consommation. Si la bière est généralement considérée comme une boisson rafraîchissante, l’alcool qu’elle contient est peu recherché en période de canicule et les bars moins fréquentés. Ce comportement concorde d’ailleurs avec les recommandations publiques. Selon certains brasseurs interrogés, le développement de bières sans alcool vise ainsi explicitement à s’adapter à cette évolution de la demande lors des fortes chaleurs. Surtout, la médiatisation du changement climatique a fait naître de nouvelles attentes de durabilité, opportunités pour se déployer sur de nouveaux marchés (circuits courts, agriculture biologique, consigne…